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ou chimiques; et ce partisan du transformisme concluait à la création successive et continue.

A dessein, j'ai cité pêle-mêle des noms qui représentent des écoles opposées, parce que la foule procède ainsi. Elle ne fait guère de différence entre un positiviste, un matérialiste, un spiritualiste non chrétien. Elle distingue deux grands courants l'un religieux, l'autre antireligieux; et, comme il n'y a pas d'alternative entre la toute-puissance de Dieu (qui implique la religion) et la toute-puissance de la matière, elle range dans le matérialisme tous les hommes qui combattent ou qui négligent la foi.

Ce n'est point par le fait de son ignorance ou de son étourderie que la foule va si vite en besogne. Une logique inconsciente, mais sûre comme l'instinct,la pousse fatalement aux conclusions.

La plupart des savants ne voulaient pas, beaucoup encore ne veulent pas conclure: voilà peut-être la cause principale de l'extension qu'a prise le préjugé. Raisonnant à sa manière, décidée à ne pas laisser frustrer sa confiance, le public a forgé la doctrine qu'on lui avait donné lieu d'espérer et sur laquelle il avait le droit de compter. De tant d'efforts et de tant de succès, devait sortir un enseignement ou le triomphe de la matière délivrée de Dieu, ou la nouvelle démonstration de l'antique croyance, c'est-à-dire un nouvel, un éclatant hommage à Dieu. Et comme les savants ne disaient pas la parole décisive qu'elle attendait, la foule l'a prononcée elle-même. L'attitude adoptée jusqu'à nos jours par la plupart des maîtres a beaucoup contribué à ce résultat.

D'un autre côté, le zèle religieux s'est souvent obstiné à maintenir des interprétations qui n'avaient rien de nécessaire ou qui n'étaient plus défendables. Ainsi que le remarque un écrivain fort instruit, le R. P. Zahm les questions de fait touchant à la science et résolues par le texte sacré sont peu nombreuses. Par exemple, on a voulu imposer la signification littérale du mot « jour » dans la Genèse et s'en tenir à l'évaluation la plus restreinte sur l'antiquité de l'homme. Cependant, saint Augustin affirmait, d'après la Genèse elle-même, l'impossibilité d'intervalles de vingt-quatre heures pour les diverses manifestations de l'œuvre créatrice; et saint Grégoire de Nysse avait exposé tout un plan de cosmogonie qui a des ressemblances extraordinaires avec la théorie moderne. L'Hexameron du savant évêque contient l'hypothèse même qui a été si longtemps regardée comme le mérite spécial du Système du monde de Laplace »2. On a confondu avec les décisions dogmatiques des interprétations qui n'avaient point une telle autorité, tant s'en faut.

1 Bible, science et foi, par le R. P. Zahm C. S. C., traduit de l'anglais par M. l'abbé Flageolet. Paris, Lethielleux.

2 Ibid.

REVUE ANGLO-ROMAINE. — T. II. .8

Le R. P. Zahm insiste avec raison sur la liberté très étendue que l'Église laisse à la science pour tout ce qui ne contredit pas la foi. Ce n'est pas une concession de forme qui est faite ainsi, c'est un enseignement très grave observé avec autant de scrupule que de fermeté.

Nous ne voyons que trop les inconvénients qu'entraine un attachement exclusif aux traditions que l'Église n'a pas consacrées d'une manière quelconque. La prudence est obligatoire, mais elle n'est pas requise seulement à l'égard des idées nouvelles. Il peut y avoir imprudence à soutenir quand même de vieilles opinions, devenues incompatibles avec le progrès légitime du savoir. Au XVIe siècle, l'intransigeance en faveur de la physique et de l'astronomie d'Aristote a contribué à pousser dans la voie des négations la science expérimentale, qui venait de naître et qui allait jouer le rôle prépondérant. Les principes essentiels de la doctrine scholastique, principes si vénérables et si nécessaires, commencent seulement à se relever de l'injuste discrédit que leur fit encourir le zèle aveugle de leurs défenseurs.

En combattant chez nous le préjugé, nous serons plus à l'aise pour obtenir la répudiation des fantaisies absurdes et blasphématoires placées abusivement sous l'égide de la vérité.

Cet espoir a un motif réel. Les esprits sérieux comprennent que la science des laboratoires est impuissante à fonder une morale. Ils soupçonnent aussi que, réduite à elle-même, elle risque de défaillir. On lui a tant demandé, elle a tant promis et elle se trouve si dépourvue devant les intelligences qui réclament une conclusion!

((

Des logiciens à outrance stimulent encore ce besoin impérieux. Où en sommes-nous? Le voici, d'après M. Jules Soury, un physiologiste qui, vers 1893, résumait l'œuvre de la méthode expérimentale : Certes, la nature existe; elle est notre mère; nous sortons de to son sein, nous y rentrons. Le grain de blé qu'on jette dans le sillon germe et sort de terre, l'épi devient du pain, il se transforme chez l'homme en chair et en sang, en ovule fécondé d'où se développe l'embryon, l'enfant, l'homme; puis le cadavre engraisse la terre qui portera d'autres moissons, et ainsi dans les siècles des siècles, « sans qu'on puisse dire ni comprendre pourquoi.

« Car, s'il est quelque chose de vain et d'inutile au monde, c'est la naissunce, l'existence et la mort des innombrables parasites, faunes et flores qui végètent comme une moisissure et s'agitent à la surface de cette infime planète, entraînée à la suite du soleil vers quelque cons‐ tellation inconnue. Indifférente en soi, nécessaire en tout cas, puisqu'elle est, cette existence, qui a pour condition la lutte acharnée de tous contre tous, la violence ou la ruse, l'amour plus amer que la « mort, paraitra, au moins à tous les êtres vraiment conscients, un

a rêve sinistre, une hallucination douloureuse, au prix de laquelle le néant « serait un bien.

« Mais, si nous sommes les fils de la nature, si elle nous a créés et « donné l'être, c'est nous, à notre tour, qui l'avons douée de toutes les qualités idéales qui la parent à nos yeux, qui avons tissé le « voile lumineux sous lequel elle nous apparaît. L'éternelle illusion qui enchante ou qui tourmente le cœur de l'homme est donc bien « son œuvre. Dans cet univers, où tout est ténèbres et silence, lui seul veille et souffre sur cette planète, parce que lui seul peut-être, avec ses frères inférieurs, médite et pense. C'est à peine s'il com«mence à comprendre la vanité de tout ce qu'il a cru, de tout ce qu'il a aimé, le néant de la beauté, le mensonge de la bonté, l'ironie de toute « science humaine. Après s'être naïvement adoré dans ses dieux et dans ses héros, quand il n'a plus ni foi ni espoir, voici qu'il sent que « la nature elle-même se dérobe, qu'elle n'était, comme tout le reste, qu'ap« parence et duperie. Seul sur ce monde envahi par la mort, au milieu « des débris de ses idoles brisées, se dresse le fantome de l'Illusion. » Les savants supérieurs à M. Soury ne prennent pas leur parti de ce triomphe épouvantable.

J'en causais il y a deux ans avec un astronome distingué, incrédule pourtant. Il venait de prononcer un discours public où il avait parlé, avec une pleine et ardente conviction, de la loi d'harmonie qui gouverne la nature. J'osai le féliciter et, plus encore, lui demander si cette harmonie pouvait exister sans être conforme à un plan et ce plan sans être l'œuvre d'une intelligence? Il me répondit qu'il ne se croyait pas le droit d'aborder ce sujet, qui appartient aux philosophes.

Il avait cependant bien dépassé le domaine de l'expérimentation. Celle-ci se borne à découvrir des lois et doit s'arrêter dès que la constatation est terminée. Lui, poussé par un besoin impérieux de l'esprit, avait franchi la limite véritable afin de conclure. Voyant la physique, la chimie et l'astronomie se rendre des services réciproques, chacune se complétant par les deux autres, il avait conçu l'idée de l'harmonie générale. Pourquoi ne pas pousser le raisonnement un peu plus loin? Examiner cette idée et chercher la loi de cette harmonie, ce n'était pas abandonner l'ordre de choses où il venait de pénétrer, c'était continuer l'étude entreprise.

Puisque la science croit à l'équilibre et au progrès universels, ne pourra-t-elle jamais nous dire ce que sont ces deux lois?

On commence à comprendre, dans le monde savant, que la question exige une réponse. Un livre de M. de Freycinet, paru en octobre dernier, suggérait le moyen de préparer cette solution. La science

1. Essais sur la philosophie des sciences. Analyse Mécanique. Paris, GauthierVillars et fils.

est trop vaste, elle s'élargit de plus en plus, jusqu'à désespérer les hommes hardis et même les groupes les mieux organisés; chaque découverte nouvelle rend plus difficile la fameuse synthèse, qui est déjà invraisemblable. Soit, dit M. de Freycinet à ses collègues de l'Institut, mesurons notre tentative à nos forces; et il invite « les savants de profession » à interrompre par moments leurs recherches ordinaires pour «< opérer chacun la synthèse de leur science favorite et à << en grouper les résultats essentiels dans un tableau de nature à << arrêter tout regard un peu attentif ».

Il y a quelques années, personne ne se fût chargé de présenter une telle proposition. Qu'elle soit faite en plein monde académique, c'est presque un événement. A coup sûr c'est un symptôme.

Sans rien exagérer, il est permis de penser que la méthode des déclarations vagues ou contradictoires n'en a plus pour longtemps. Le préjugé d'après lequel la science devait s'abstenir de rien décider sur les lois générales est atteint et s'affaisse. La nécessité d'aboutir oblige à se prononcer pour ou contre Dieu.

Verrons-nous la rencontre harmonieuse des deux puissances si longtemps hostiles, la foi et la science? On ne peut calculer la date à laquelle s'accomplirait ce grand phénomène; mais on a le droit de croire qu'il serait en conformité avec la marche générales des idées. Beaucoup de gens se sont persuadé que la foi et la science, s'étant séparées, ne doivent pas se rejoindre: c'est au contraire parce qu'elles se sont séparées qu'il y a de fortes probabilités pour qu'elles se rencontrent. Au point de vue moral, comme au point de vue physique, les ruptures présagent une réunion sur un plan plus vaste et plus beau. La vie et le progrès se développent ainsi. Quand la division des peuples s'est produite, quand des migrations ont répandu les hommes dans les continents, bien peu de nos ancêtres soupçonnaient que tous ces débris seraient un jour mis de nouveau en rapports les uns avec les autres et que la poussière vivante dispersée redeviendrait une masse compacte. Cependant la civilisation actuelle se montre très ardente à reconstituer en Asie et en Afrique la famille humaine agrandie.

Ici,où la pensée dominante est de réunir des frères séparés depuis trois siècles, comment se défendrait-on d'espérer encore une autre réconciliation, qui serait très utile à la foi, qui est indispensable à la science?

Eugène TAVERNIER.

CHRONIQUE

Les ordinations anglicanes à Rome. -CHEMIN PARCOURU. Lord Halifax a dit avec beaucoup d'indulgence, dans un de ses discours, qu'à l'époque de notre rencontre à Madère, il trouva en moi « un ecclésiastique very imperfectly informed, comme c'est le cas de beaucoup d'ecclésiastiques étrangers, en ce qui se rapporte à l'Église d'Angleterre ». Je n'étais pas seulement imparfaitement informé au sujet de l'Église d'Angleterre; la vérité est que je ne la connaissais pas du tout, «< comme beaucoup d'ecclésiastiques étrangers ». Par rapport aux ordres anglicans en particulier, je savais ce que m'avaient appris quelques lectures et notre traditionnel Jean-Baptiste Bouvier. C'était peu. Aussi ma surprise fut grande lorsqu'une étude plus approfondie me montra sous des aspects inconnus et la question des Ordres et toute l'Église anglicane.

Il est probable cependant que je me serais contenté de tirer de cette étude un profit exclusivement personnel si, dès la première heure, je n'avais pas éprouvé le désir de travailler à l'union de l'Église anglicane avec l'Église catholique.

Ce désir naquit tout naturellement de mes relations avec Lord Halifax. Si les dispositions et les doctrines de mon interlocuteur ne lui étaient pas personnelles, il était évident pour moi que nous étions beaucoup plus rapprochés qu'on ne le pensait généralement. D'un autre côté, grâce à la politique de paix inaugurée par Léon XIII, les circonstances étaient tout à fait propices chez nous; elles se prêtaient admirablement à des études empreintes du meilleur esprit de conciliation. En tout cas, il n'y avait nulle imprudence à jeter un grain de sénevé et à laisser à Dieu le soin de le faire germer et grandir.

Quand deux corps ou deux individus sont séparés depuis longtemps, il est très difficile de trouver, même en supposant les meilleures intentions dans les deux corps ou dans les deux individus, le point exact qui peut servir à un rapprochement,

Des deux côtés, il y a des irritabilités faciles à s'émouvoir, des craintes excessives de compromettre une position que l'on voudrait pourtant changer, des susceptibilités ombrageuses qui mettent vite en feu un amour-propre que l'on condamne intérieurement, mais qui n'en est pas moins capable de tout gåter. Un terme mal choisi ou mal compris, une proposition de paix sur une question que les esprits ne sont pas encore préparés à étudier, paralyse les meilleures dispositions et empêche les intentions les plus sincères d'aboutir à des résultats.

Là surtout il faut mettre en pratique le conseil très original, mais

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