Imatges de pàgina
PDF
EPUB

PRIMAUTÉ, SCHISME ET JURIDICTION

(Suite et fin.)

Avant d'aborder la discussion de la théorie exposée par M. Boudinhon sur l'effet que produit, par rapport à la juridiction, l'interruption de communion avec le Saint-Siège, je voudrais dire un mot de deux autres points sur lesquels cet écrivain distingué a appelé l'attention. M. Boudinhon dit : « Les membres de la Haute-Église, sinon tous les anglicans, se représentent la véritable Église de JésusChrist comme une société composée de plusieurs communions, toutes égitimes. Ce sont : l'Église romaine, l'Église orthodoxe, enfin l'Église anglicane. Membres de la grande famille chrétienne », etc. Sans doute, il est très vrai qu'au plus fort du mouvement tractarien, on admit que l'Église catholique consistait en trois « branches » indépendantes. Cette théorie, qui pratiquement avait pour conséquence de représenter l'Église catholique comme composée de trois corps séparés, tendait naturellement à obscurcir l'idée de l'unité de l'Église. Je sais bien qu'aujourd'hui encore on la formule quelquefois; cependant un nombre toujours plus considérable d'anglicans rejette cette manière de concevoir la constitution de l'Église. Notre idée sur ce point est celle-ci il ne peut pas y avoir de « branches » dans l'Église une. Ou plutôt nous pensons que partout où il y a un évêque canoniquement constitué, et en possession canonique de son siège, il y a l'Église catholique dont, dans chaque diocèse, l'évêque est le centre d'unité. La communion avec lui, par le moyen des prêtres ses intermédiaires, met les fidèles en communion avec tous les évêques de l'Église catholique, avec lesquels chaque évêque diocésain est en communion, selon ces paroles de saint Cyprien : « Il y a un seul épiscopat, dont chaque évêque détient une partie solidairement avec les autres cujus a singulis in solidum pars tenetur. » Nous devrions donc nous appeler, non pas membres de la « branche » anglicane de l'Église catholique, mais membres de l'Église catholique en Angleterre.

Après avoir rappelé les paroles : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église... Tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans

le ciel », et « Tout ce que vous lierez sur la terre, etc. », M. Boudinhon dit : «< Mais si ces dernières paroles, adressées à Pierre aussi bien qu'à ses collègues dans l'apostolat, suffisent aux anglicans pour admettre l'épiscopat de droit divin et la juridiction de droit divin dans l'épiscopat, comment se refuser à interpréter de la même manière les paroles semblables dites au prince des apôtres ? Comment se refuser à y voir une disposition du droit divin, le don exprès d'une véritable juridiction? »

On pourrait dire, je crois, que puisque les paroles adressées à saint Pierre « Je te donnerai les clés du royaume des cieux », indiquent clairement la promesse d'un don futur, le passage concernant le pouvoir de lier et de délier doit être interprété de la même manière, c'est-à-dire dans le sens de la promesse d'un don futur et non d'une concession actuelle et immédiate. Et lorsque Notre-Seigneur adresse plus tard les mêmes paroles à tous les apôtres, la question se pose de nouveau Doit-on les interpréter comme une concession actuelle ou comme la promesse d'un don? Je suppose qu'elles peuvent par ellesmêmes se prêter aux deux interprétations. Si donc c'est la potestas qui fut alors conférée, saint Pierre reçut précisément la même potestas que les autres apôtres. Mais s'il ne s'agissait que d'une promesse faite alors à tous les apôtres de la potestas déjà promise à saint Pierre seul, il faudra chercher une circonstance ultérieure dans laquelle cette potestas aura été effectivement conférée. Cette occasion se produisit lorsque Notre-Seigneur dit : « Comme mon Père m'a envoyé, ainsi je vous envoie. >>

Et, pour employer le langage des canonistes, il résulte du texte grec que, tandis que Notre-Seigneur avait reçu de son Père, dans sa nature humaine, une juridiction ordinaire, les apôtres reçurent de Jésus-Christ une juridiction déléguée, législative et exécutive. Si cependant on veut soutenir que saint Pierre avait reçu la potestas de lier et de délier, lorsque lui furent dites les premières paroles, on devrait en conclure que le prince des apôtres reçut la potestas en une occasion distincte de celle où elle fut conférée collectivement au collège apostolique. Mais cela impliquerait une grave difficulté : car alors ou saint Pierre a reçu deux fois la potestas, ou bien il était absent quand elle fut conférée aux autres apôtres, hypothèse arbitraire qui n'a pas l'ombre de probabilité. On pourrait enfin prétendre que les paroles : «< Comme mon Père m'a envoyé, ainsi je vous envoie », ne se rapportent qu'à la mission, et que la potestas ayant déjà été conférée à saint Pierre seul par les premières paroles, le bon sens doit faire admettre qu'elle n'a été donnée par les autres paroles qu'aux seuls apôtres; dans ce cas, la potestas ligandi et solvendi, - celle du forum externum, aurait été conférée par les paroles citées plus haut; le pouvoir d'absoudre, celui du forum internum, l'aurait été par les

paroles : « Les péchés seront remis, etc. »; tandis que les paroles: « Ainsi que mon Père », etc., seraient restreintes à la mission. Je répondrais en ces termes :

Les paroles employées dans l'un et l'autre cas étant exactement semblables, c'est une potestas exactement semblable qui fut conférée à saint Pierre et aux autres apôtres, une potestas « de droit divin..... le don exprès d'une véritable juridiction ». Nous soutiendrions alors que, quelle qu'ait été la potestas conférée à saint Pierre, elle fut également donnée aux autres [apôtres, suivant cette parole de saint Cyprien: « Assurément les autres apôtres étaient comme saint Pierre, participant tout comme lui à l'honneur et au pouvoir; mais le commencement part de l'unité. » Et si l'on attire notre attention sur la dation des clés qui cependant, d'après la narration de l'Évangile, est présentée sous la forme d'une promesse; si l'on insiste sur des passages de saint Cyprien et de saint Augustin qui montrent saint. Pierre comme le représentant de l'Église : « gestare personam Ecclesiæ », ne peut-on pas répondre que lorsqu'une personne agit comme réprésentant un corps constitué, ce qu'elle reçoit, elle ne le reçoit pas pour elle-même et comme un don personnel; qu'elle ne peut acquérir un pouvoir juridictionnel pour contrôler la répartition de ce qu'elle a reçu, sa fonction se bornant au rôle ministériel d'un agent; enfin qu'elle ne peut acquérir le droit de transmettre à d'autres qu'à ceux qu'elle représente la potestas quelconque qui lui avait été confiée? Son office est ad hoc et il prend fin dès qu'il est rempli. Je ne comprends pas que M. Boudinhon s'appuie si peu sur les mots : « Tu es Pierre, etc. » Il semble plutôt insister sur la force des paroles : « Tout ce que tu lieras, etc. » Mais au cas où je l'aurais mal compris, j'ajouterai que l'on peut admettre sans hésitation, conformément à l'interprétation des Pères, que saint Pierre était en vérité la «< pierre »> sur laquelle l'Église fut bâtie, suivant la promesse de Notre-Seigneur; mais cette concession faite, il n'en reste pas moins difficile de reconnaître, dans ce privilège d'être la pierre fondamentale de l'Église, des raisons suffisantes pour en faire dériver une suprématie ininterrompue sur toute l'Église, transmissible par saint Pierre à ses successeurs. L'idée de fondement, qui implique des circonstances limitées de temps, de lieu et d'objet, devrait être complétée par autre figure d'un autre genre, pour pouvoir acclimater chez nous, à l'aide des preuves convenables, la théorie de la suprématie papale.

J'arrive maintenant à la question de la juridiction. La tâche que je me suis assignée, non peut-être sans quelque présomption, consiste en ceci montrer que certains faits de l'histoire ecclésiastique

nous autorisent à prétendre que des actes de juridiction, accomplis par des évêques en état de schisme par rapport au pape, ne requièrent pas absolument une « ratification subséquente qui en assurera la valeur »; et que cette sorte de schisme n'est pas toujours suivie d'une <«< réconciliation expresse >> Avant d'entreprendre une tâche aussi ardue, je dois réclamer l'indulgence de mes lecteurs pour le cas où je ferais usage d'arguments, et où j'énoncerais des propositions qui leur pourraient déplaire.

La principale question porte sur la légitimité de la juridiction exercée par des évêques en état de schisme avec le Saint-Siège; une seconde question intimement liée à la première est de savoir si, par suite de cet état de schisme, ces évêques ont cessé d'être des membres du corps visible de l'Église catholique.

M. Boudinhon établit une distinction entre des « froissements plus ou moins graves entre le Pape et certains évêques » et un acte de schisme formel. Dans le premier cas, l'unité de l'Église n'est pas rompue; dans le second elle l'est, et une « réconciliation expresse » est nécessaire. L'essence du schisme se trouve dans le rejet de la suprématie papale. Des « froissements », c'est là un mot très élastique, qui peut signifier ou beaucoup ou presque rien, depuis un simple refroidissement dans les rapports jusqu'à une complète rupture de communion. Mais, dans le dernier cas, une rupture de communion implique-t-elle le rejet de la suprématie? M. Boudinhon a posé en principe que la résistance d'un inférieur à l'autorité d'un supérieur n'implique pas toujours nécessairement le rejet de cette autorité. Pas toujours; donc quelquefois. Que dire alors des cas de résistance. à l'autorité papale? M. Boudinhon admet qu'il y a eu des cas où l'on a résisté au Saint-Siège, mais il prétend que, dans les cas qu'il cite, on n'aurait pas nié l'autorité papale. Sans doute, on peut parfaitement admettre en théorie que toute résistance à l'autorité n'implique pas toujours et nécessairement le rejet ou la négation de cette autorité. Supposons que la loi interdise les réunions politiques dans un lieu public; certains agitateurs veulent cependant tenir une réunion et se réunissent malgré les efforts de la police. Dans ce cas, ni les organisateurs de la réunion ni ceux qui y prennent part, ne se préoccupent de la question de l'autorité. Ils se déterminent à faire une chose que l'autorité reconnue a défendue. Mais ils n'en contestent ni l'existence ni la légitimité. La désobéissance, dans ce cas, n'implique pas a négation de l'autorité. Supposons, au contraire, le cas de rébellion: des hommes, en toute connaissance de cause, rejettent la potestas de l'autorité reconnue.

Or il me semble, que dans tout cas concret de résistance aux directions du Saint-Siège, on franchit la limite des « froissements » et l'on se trouve en face d'un acte formel de rébellion. On savait, du moins

« AnteriorContinua »