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LES ASPECTS MORAUX

DE LA QUESTION DES ORDRES ANGLICANS

ÉTUDE DE THÉOLOGIE SACRAMENTAIRE

La Revue Anglo-Romaine disait, dans son dernier numéro, que, puisqu'une commission avait été saisie, par ordre du Saint-Siège, de la question des ordres anglicans, elle s'abstenait pour un temps de publier de nouvelles études sur ce sujet. Je ne voudrais pas la faire sortir de cette réserve; aussi bien le présent article n'aura-t-il aucunement pour effet de modifier les positions acquises. Mais ne me sera-t-il pas permis de protester contre la théologie à tout le moins fantaisiste qui a inspiré un récent article de l'American catholic quarterly Review? Ce périodique publie en tête de son numéro de janvier, sous la signature de M. A. F. Marshall, une étude intitulée: The moral aspects of the question of anglican orders. Il y a là des assertions en opposition si évidente avec les principes certains de la théologie sacramentaire que, pour l'honneur des controversistes catholiques et tout en respectant la conviction de l'auteur, je me suis cru dans l'obligation de les relever. Il serait regrettable que les anglicans pussent nous reprocher de rejeter leurs ordres pour des motifs si peu conformes à la tradition théologique de nos écoles.

La première chose à faire est de donner de cet article un résumé exact et complet.

Il est étrange, dit M. Marshall, que l'on accorde si peu de place au côté « moral » de la question des ordres anglicans, tandis qu'on en fait une si large au côté historique. Et voici ce qu'il entend par l'aspect moral de la controverse. Pour savoir si une chose est d'origine divine, nous recherchons tout naturellement certaines caractéristiques qui distinguent le divin de l'humain; pour savoir, par exemple, si la Réforme est l'œuvre de l'Esprit-Saint, si elle est d'origine

humaine, ou pire encore. « Ainsi en est-il pour les ordres anglicans. Les ritualistes nous demandent aujourd'hui de croire que les ordres anglicans sont les mêmes que ceux de l'Église catholique; que, lorsqu'un évêque anglican ordonne un bachelier ès arts, il confère les mêmes pouvoirs, les mêmes privilèges, que conférerait un évêque catholique romain. A quoi nous répondons naturellement : Eh bien, s'il en est ainsi, voyons quels sont les points de ressemblance, par rapport au caractère sacerdotal ou ministériel, à l'office, aux fonctions et aux devoirs, à l'enseignement, à la dévotion et à la pratique; et ces questions, nous les posons sans nous occuper des détails historiques relatifs à la légitimité de la succession. En d'autres termes, nous prenons d'abord le côté moral de l'argument, comme indice des probabilités morales. Car nous savons que les ordres romains sont divins par leur origine et, par suite, divins aussi dans leurs fonctions: c'est ce qui nous amène à chercher des preuves suffisantes d'identité dans les ordres de la communion anglicane. Tel est l'aspect moral que nous allons considérer. »

L'auteur commence par jeter un coup d'œil d'ensemble sur les changements apportés lors de la Réforme à ce qui concerne les ordres. « La forme fut changée; l'intention fut changée; la juridiction spirituelle fut transférée du pape au roi ou à la reine. Et ce n'est là qu'un aspect des changements révolutionnaires apportés aux conditions essentielles de la prêtrise. Ainsi, pour ne parler que de deux fonctions sacerdotales pendant mille ans, tout diacre catholique avait été fait prêtre de manière à pouvoir offrir le sacrifice de la Messe et entendre les confessions au tribunal de la Pénitence; mais, après la Réforme, tout diacre protestant était fait prêtre de manière à ne pouvoir pas offrir le saint Sacrifice de la Messe et à ne pouvoir pas entendre les confessions sacramentelles........ Ainsi, l'âme même de l'institution, le sacerdoce catholique fut écarté du corps protestant, de l'Église d'Angleterre; et l'on passa trois siècles à avilir ces pouvoirs sacerdotaux que les ritualistes revendiquent maintenant comme leur héritage.

«< Bien plus, tout le caractère du ministre anglican devint exactement l'opposé de ce qu'il était auparavant. » On eut un clergé marié, on proscrivit la vie religieuse, on fit de la prédication la seule grande fonction des clercs; les églises demeurèrent fermées sauf le dimanche, elles furent transformées en des espèces de granges, d'où l'on bannit. non seulement la présence réelle, mais tout ce qui pouvait rappeler l'ancienne foi. Et cela a duré trois siècles, jusqu'à l' « Oxford move

ment ».

« Et maintenant, s'écrie M. Marshall, on nous demande de croire que le ministère anglican est la même chose que le sacerdoce de l'Église romaine; qu'un clergé qui, pendant trois siècles, a prêché

contre la messe, contre la confession, contre la signification des rites ecclésiastiques catholiques, est subitement devenu identique à ce sacerdoce catholique romain qu'il a diffamé sans relâche. Et l'on nous assure que ces trois siècles d'apostasie, d'antagonisme furieux contre le catholicisme, bien que constituant des accidents ou une maladie nationale déplorables, n'ont pas atteint la validité des ordres anglicans. N'avons-nous pas raison de répliquer : « Mais considérez donc le côté moral de la question » ? Où sont les signes qui font reconnaitre le caractère divin de votre sacerdoce, dans son origine, son enseignement, sa stabilité, son harmonie avec l'ancien sacerdoce catholique, dont il a pris la place, et qu'il a haï et persécuté? Pouvez-vous nous donner des preuves morales de cette identité, tandis que nous vous en fournissons de l'opposition qui existe entre eux? Nous vous disons, franchement, qu'il est moralement im possible que le même Dieu puisse avoir institué les ordres catholiques et ceux de l'Église d'Angleterre. >>

Voilà, dans toute sa force, l'argument général. L'auteur entre ensuite dans des considérations de détail, qui forment les éléments de la preuve morale. Je les résumerai plus brièvement.

1o Les sacrements. a) Le baptême. « Il est improbable, moralement, que le même sacerdoce enseigne des doctrines opposées sur le baptême, et, historiquement, il est certain qu'un grand nombre de membres du clergé anglican ne sont pas validement baptisés. » A l'aide de textes tirés des auteurs anglicans, M. Marshall prouve l'inconcevable négligence qu'un grand nombre de ministres apportaient dans l'administration de ce sacrement. Tantôt on se contentait de «< laisser tomber une ou deux gouttes sur le visage de l'enfant »; tantôt un évêque « baptisait quatorze adultes en une seule fois, en secouant en l'air, sur eux tous, ses doigts trempés dans l'eau »; tantôt un ministre, « après avoir trempé le doigt dans les fonts, touchait à la ronde le front de chaque enfant, sans prononcer une seule parole »; tantôt il se bornait à lancer du doigt une goutte d'eau vers les enfants, sans rien dire ». Bref, le rite baptismal était regardé comme d'importance tout à fait secondaire. Si l'on compare cette pratique avec le soin minutieux que tous les prêtres catholiques apportent à conférer le baptême, « est-il probable que le même sacerdoce catholique puisse ainsi simultanément honorer et déshonorer le même sacrement? >>

b) La Confirmation. Il y a là « trois doutes terribles: l'évêque n'est pas certainement consacré; le saint chrème fait défaut; la forme est irrégulière et incomplète ». De là, la probabilité morale qu'il ne puisse s'agir d'évêque ou de sacrement identiques.

c) La Pénitence. A l'encontre de la doctrine catholique, voici ce que l'on peut constater dans l'Église anglicane: « 1o On ne confère

au ministre, dans l'ordination anglicane, aucun pouvoir pour entendre les confessions sacramentelles, mais seulement pour remettre des péchés, non confessés, d'une manière générale et déclaratoire; 2o les clercs anglicans ne siègent point au tribunal de la pénitence, ils se contentent de donner des conseils et avis spirituels, comme pourrait le faire un pieux laïque; les laïques anglicans n'ont pas pratiqué la confession, n'ont pas cru à son obligation; au contraire, ils ont protesté contre elle, suivant l'enseignement que leur donnait le clergé; 4° à l'heure même de la mort, les laïques anglicans ne demandent pas à faire de confession sacramentelle, bien qu'ils expriment à leurs pasteurs des sentiments de pénitence; 5° le sceau de la confession ne trouve place ni dans la pratique, ni dans la théologie anglicanes ». D'où l'argument: « Est-il probable, est-il possible que les deux sacerdoces puissent avoir la même origine divine? Est-il probable, est-il possible que Dieu ait pu donner les mêmes ordres à deux sacerdoces, dont l'enseignement et la pratique, en ce qui touche au sacrement de pénitence, ont été de tous points opposés ? >>

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d La Communion. « Est-il probable que le ministère anglican, qui, depuis trois siècles, a supprimé le tabernacle de l'autel, puisse avoir les mêmes ordres qu'un sacerdoce qui, depuis dix-huit siècles, a fléchi le genou devant l'adorable présence réelle? » Quelle probabilité qu'on trouve de véritables ordres chez des ministres qui << placent le pain consacré dans la main du pécheur sans confession,... qui laissent tomber les saintes parcelles sur le sol auprès de la table de communion, permettent au sacristain d'emporter ce qui reste, ou laissent balayer les fragments,... qui ont toujours prêché contre la doctrine catholique romaine, et mis en garde leur auditoire contre l'erreur, funeste aux âmes, du dogme catholique de la transsubstantiation? »

e L'Église d'Angleterre n'a pas conservé l'Extrême Onction; « cette suppression d'un sacrement est en contradiction avec l'identité du sacerdoce » de part et d'autre.

Le mariage a été respecté par tous les anglicans; mais le divorce et le mariage des divorcés n'ont pas été expressément condamnés. «< Ici encore, nous cherchons en vain l'identité morale entre l'épiscopat anglican et catholique. »

g) Enfin, l'Ordre. La controverse interminable sur la valeur d'une forme ou sur la suffisance de l'intention est par elle-même une preuve morale du caractère humain de l'anglicanisme, puisque le doute est absolument fatal à la foi. Les innombrables livres publiés sur ce sujet « sont autant d'aveux que ce qui nécessite tant de discussions est aussi incertain que la doctrine de l'Église établie ». « Et si, l'on réfléchit que la validité de cinq sacrements sur sept dépend

de la valeur du sacerdoce qui les confère, il faut en conclure nécessairement que les cinq septièmes de la foi anglicane sont pour tous les anglicans l'occasion des doutes les plus graves... Est-ce done trop s'avancer que d'affirmer l'impossibilité morale que les ordres anglicans soient valides, et les mêmes que les ordres catholiques; puisque partout où des ordres valides existent ou ont existé chez les schismatiques, ils n'ont jamais été l'objet de controverse ou de doute?»> 2o « La différence entre la prédication des prêtres catholiques et des membres du clergé anglican, tant pour l'autorité que pour la doctrine », est l'objet d'un second aspect de la preuve morale.

a Dès l'origine, la prédication a été la principale fonction sacerdotale du clergé anglican. Mais en quoi a-t-elle surtout consisté? A enseigner aux laïques anglicans que les abominations de Rome, ses erreurs, ses superstitions, ses corruptions, ont fait du Saint-Siège et du sacerdoce romain la principale source de l'erreur doctrinale dans le monde... Est-il possible aux prédicateurs anglicans de prouver qu'ils descendent des prédicateurs romains qui, pendant quinze siècles, ont enseigné une règle de foi mensongère, et l'ont enseignée au nom d'une autorité que tous les prédicateurs anglicans ont rejetée comme une monstrueuse usurpation? Comment ces vrais prédicateurs seraientils les héritiers des faux prédicants qui, depuis le temps de saint Augustin, ont enseigné le papisme?... L'impossibilité morale atteint ici un degré qui semble incompatible avec le christianisme. »

De plus, il y a en Angleterre deux Églises dont l'une, celle des ritualistes, revendique l'identité du sacerdoce anglican avec le sacerdoce catholique, tandis que l'autre, la Low Church, repousse énergiquement cette même identité. Il y a donc, dans la même communion anglicane, deux sacerdoces,'« conférés par les mêmes évêques, approuvés par le même primat. L'impossibilité n'atteint-elle pas ici son apogée? »

Le service divin, le culte, tel qu'on le pratiquait sous le règne d'Élisabeth, prouve positivement un changement dans les saints ordres; il fournit non seulement une probabilité morale de changement, mais une preuve absolue, irréfutable, définitive. Il est certain que les églises furent alors trop souvent le théâtre de pratiques, non seulement profanes, mais odieuses et parfois immorales. «Ma cathédrale, écrivait Scory, est une maison de blasphème, d'impureté, d'orgueil, de superstition et d'ignorance. » Le service divin était l'objet du mépris et du ridicule. Et, jusqu'en notre siècle, vers 1824, bien que les abus fussent moins criants, ils étaient loin d'avoir cessé. Le service divin était accompli avec une irrévérence bien faite pour éloigner les fidèles : « Il y avait peu d'églises où l'on célébrât le service de la communion plus d'une fois par mois. » Si ce n'est pas là « une preuve morale de l'impossibilité absolue que le nouveau clergé

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