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en substance, car les décrets du Vatican ne prétendent pas formuler autre chose que la croyance perpétuelle de l'Église catholique sur ce point on savait que le pape jouissait d'une autorité suprême : «In beato Petro pascendi, regendi ac gubernandi universalem Ecclesiam a Domino nostro Jesu Christo plenam potestatem traditam esse »; on savait que personne ne peut s'écarter de cette doctrine « salva fide atque salute ». Lors donc que le Pape agira en vertu de cette « plena potestas » renforcée par de si terribles pénalités, est-il possible d'admettre qu'un fidèle, tenu en conscience de reconnaître la juridiction papale, ose résister à de telles injonctions? En d'autres termes, la résistance à l'autorité du Pape n'implique-t-elle pas le rejet de cette autorité? Et alors se pose une nouvelle question. M. Boudinhon établit que le schisme formel est constitué par le rejet de la suprématie papale. Très bien. Mais alors est-il nécessaire que ce rejet soit formellement exprimé dans une proposition négative adressée au Saint-Père? Si le Pape a condamné telle pratique ou telle doctrine, la désobéissance à cette condamnation n'impliquerait-elle pas une rébellion et le rejet de sa plena potestas? Dans un cas semblable un acte n'équivaut-il pas à des paroles? Est-il nécessaire que le rejet de la suprématie papale soit manifesté par une assertion formelle, et ne suffit-il pas d'une action qui implique nécessairement la rébellion à cette « plena potestas regendi ac gubernandi universalem Ecclesiam », pouvoir auquel on doit obéissance « non solum in rebus quæ ad fidem et mores, sed etiam in iis, quæ ad disciplinam et regimen Ecclesiæ per totum orbem diffusæ pertinent »? La fin pour laquelle cette obéissance est requise, c'est « ut sit unus grex sub uno summo pastore». Mais comment les brebis désobéissantes qui s'écartent de l'« unus grex » peuvent-elles être a sub uno summo pastore», tandis qu'elles refusent de reconnnaître son autorité et méconnaissent ce solennel avertissement Hæc est catholicæ veritatis doctrina, a qua deviare salva fide atque salute nemo potest?» Lorsque la communion est absolument rompue, dans quel sens peut-on dire que les membres dissidents restent « sub uno summo pastore? »

Si mes déductions sont exactes, il est évident qu'elles ont une portée considérable dans le cas de saint Meletius et du schisme d'Antioche. M. Boudinhon dirait peut-être que, dans ce cas, il n'y eut pas de schisme formel; qu'il ne s'agissait que de « froissements »>, bien qu'ils fussent assurément «< graves ». Mais que nous disent les faits? Il est incontestable que Paulinus était en communion avec le Saint-Siège; il est également incontestable que Meletius ne l'était pas. Par son action, le Pape déclara ouvertement que Paulinus était l'évêque légitime d'Antioche, saint Meletius, l'évêque schismatique. Aucune parole n'aurait pu être plus significative que l'action du Pape. Saint Meletius était-il donc « sub uno summo pastore » ? Évi

demment non. De plus, qu'était-il aux yeux du Pape, sinon un intrus schismatique? Car deux évêques ne peuvent pas légitimement occuper en même temps le même siège. De plus, Paulinus était certainement « sub uno summo pastore » ; saint Meletius ne l'était donc pas : donc, par rapport au Saint-Siège, Paulinus était en communion, saint Meletius en schisme. Il est vrai que le saint était en communion avec les évêques catholiques de Syrie et d'Asie Mineure, qui l'appuyaient tous. Mais loin de prouver qu'il n'était pas en état de schisme formel avec le Saint-Siège, ce fait me paraît au contraire prouver qu'un évêque avait été retranché de la communion du Pape, tandis que d'autres Églises le reconnaissaient comme légitime occupant de son siège, ou, suivant ce qu'écrivait saint Basile : « le très admirable évêque de la véritable Église de Dieu, Meletius ». Aux yeux de saint Basile, Paulinus n'était donc pas un « évêque de la véritable Église de Dieu », et cependant, il était en communion avec le Saint-Siège. A coup sûr, personne en Orient ne regardait, dans l'espèce, l'exclusion de la communion du Pape comme devant vicier des actes de juridiction ou comme devant priver celui qui était exclu de son titre de membre du corps visible de l'Église catholique. Bien entendu, mon raisonnement, en tant qu'il se rapporte à la définition du schisme donnée par M. Boudinhon, suppose la vérité de ce qui me paraît en effet tout à fait clair; à savoir que Meletius niait du moins implicitement la plena potestas du Pape. Mais, si je m'en rapporte à la définition donnée par Lehmkuhl1 : « Qui non vult subjacere Romano Pontifici legitime electo, atque ita se a reliquo ecclesiæ corpore impius separat, schismaticus est »; il semble bien que saint Meletius ait été, en toute hypothèse, schismatique, par rapport au Saint-Siège. Car, si vraiment le Pape est le centre nécessaire de l'unité; si, dans chaque diocèse, l'évêque en communion avec le Saint-Siège est le seul véritable évêque, et le représentant local de cette unité; si la communion avec cet évêque est le moyen de rester en communion avec le centre auguste de l'unité et si la séparation d'avec lui implique la perte de cette communion, alors n'est-il pas évident que saint Meletius et la grande majorité des fidèles d'Antioche se séparèrent de l'Église, formèrent une société distincte, et refusèrent de reconnaître la suprématie du siège apostolique? Ne peut-on pas en conclure que nous avons là un exemple d'un schisme formel qui prit fin sans que personne ait cessé d'être membre du corps visible de l'Église, sans aucune « réconciliation expresse » et sans légitimation subséquente des actes de juridiction accomplis pendant la durée du schisme? Encore une fois, la valeur de mon argumentation contre la thèse de M. Boudinhon suppose que le parti de Mele

1 Theol. Moral., I; 406.

tius était en état de schisme formel. Il me semble qu'il l'était. Que si, à l'encontre, on oppose la réconciliation de l'Église d'Angleterre par le cardinal Pole, cela prouverait que la discipline était alors différente de la discipline primitive; et, de plus, cela montrerait qu'au XVIe siècle, les théologiens et les canonistes d'Occident avaient donné. à l'idée de l'unité de l'Église et des prérogatives du Saint-Siège une forme plus définie et plus précise, qu'elle n'avait sans doute pas encore au Ive siècle.

Deux autres faits de l'histoire des premiers siècles de l'Église me paraissent avoir une importance particulière pour notre sujet. Le premier, c'est la controverse des Quartodécimans au temps du pape Victor. Les faits échappent, ce me semble, à toute discussion; ils sont, je crois, incontestables : « Victor, l'évêque de l'Église des Romains, menace de retrancher de la commune unité, comme hétérodoxes, les Églises de toute l'Asie ainsi que les Églises voisines; il lance contre elles des lettres et proclame que tous les fidèles de ces régions sont entièrement séparés de la communion »1.

Deux faits semblent tout à fait certains: 1° Victor retranche de sa propre communion les Églises d'Asie; et 2° il s'efforce de faire reconnaître leur excommunication par l'Église tout entière. Il y aurait bien des questions intéressantes à étudier ici sur la manière dont on envisageait à cette époque lointaine l'excommunication papale, ses effets, son étendue et sa force aux yeux de l'Église. Mais laissons ces questions à part; qu'il nous suffise de remarquer, en ce qui touche directement à notre sujet, que lorsque la réunion se fit, personne, semble-t-il, n'avait cessé d'être membre du corps visible de l'Église ; il n'y eut aucune légitimation des actes de juridiction accomplis pendant le schisme, ni aucune « réconciliation expresse ». Et cependant il s'agissait certainement de choses plus graves que des « froissements ». Il s'agissait certainement de schisme formel et d'excommunication; et l'excommunication portée par le Pape ne paraît pas avoir impliqué la perte de communion avec le reste de l'Église.

Un autre exemple nous est fourni par la controverse entre saint Cyprien et le pape Étienne. M. Boudinhon dit : M. Boudinhon dit : « Je ne puis admettre, par exemple, que saint Cyprien ait été schismatique, ait été exclu ou se soit regardé comme exclu de l'Église. » J'admets que saint Cyprien ne se soit pas regardé comme « exclu de l'Église »; mais la raison que j'en donnerai, c'est qu'il tenait que l'excommunication portée contre lui par Étienne, l'excluait seulement de la communion avec le Pape, et de plus, qu'à ses yeux, l'excommunication par le Pape, ainsi que dans le cas des quartodécimans, n'entraînait

I EUSEB. H. E., V, 24.

pas l'exclusion de l'Église. Bien entendu, tout dépend de cette question de fait saint Cyprien était-il excommunié? Firmilien affirme positivement qu'Étienne avait excommunié l'Église de l'Afrique du Nord aussi bien que les évêques orientaux, mais que son action n'avait pas eu d'autre effet que de se séparer lui-même de ces illustres Églises « Te a tot gregibus scidisti. Excidisti enim te ipsum »>. « Quid enim humilius aut lenius quam cum tot episcopis per totum mundum dissensisse, pacem cum singulis vario discordiæ genere rumpentem, modo cum Orientalibus... modo vobiscum, qui in meridie estis. » Le fait de l'excommunication est puissamment confirmé par cet incident: Lorsque les légats des quatrevingt-cinq évêques qui avaient tenu le Concile à Carthage, furent envoyés à Rome, Étienne « défendit à tous les frères de les recevoir dans leurs maisons; en sorte qu'on leur refusa non seulement la paix et la communion, mais encore le gite et l'hospitalité ». L'excommunication des évêques orientaux est également mentionnée par saint Denys le Grand, évêque d'Alexandrie2; et l'archevêque Mansi, de Lucca, l'illustre éditeur des Concilia, fait cette remarque : « Il semble indubitable qu'il (Étienne) alla plus loin que les menaces et finit par prononcer contre eux la sentence d'excommunication », c'est-à-dire contre saint Cyprien et Firmilien 3. Il cite également la lettre de saint Denys au pape Xyste II, dans laquelle l'évêque d'Alexandrie rapporte qu'Etienne aurait écrit (suivant la traduction très soignée de Mansi): « Quod neque cum illis. communicare vellet. »>

Il est vrai que saint Denys ne parle ici que des rapports d'Étienne avec les évêques orientaux; mais, ainsi que le fait remarquer Mansi, s'il excommunia les évêques orientaux; il doit avoir excommunié aussi les Africains, puisque ceux-ci partageaient entièrement la doctrine et l'usage des premiers. Il me semble impossible de rejeter. ce témoignage contemporain, d'autant qu'on ne peut opposer aucune autre preuve de la mème époque au témoignage de Firmilien, de saint Cyprien (qui en traduisant la lettre de Firmilien endossa la responsabilité des affirmations qui y étaient contenues), ni enfin à celui de saint Denys.

La rupture vint à cesser, mais sans que personne ait eu la moindre idée que les excommuniés avaient cessé d'être membres du corps visible de l'Église, sans aucune légitimation subséquente des actes de juridiction accomplis pendant le schisme, enfin sans qu'il y ait eu de << réconciliation expresse ». Encore une fois, il y avait eu certainement autre chose que des « froissements ». Il ne s'agissait de rien

1 Ep. S. FIRMIL. inter Cyprianicas, LXXV.

2 EUSEB. H. E., VII, 7.

3 Animadvers. in Dissert. xII; Art. I, ap. Natal. Alexand. Hist. Eccl.

moins que de la validité du sacrement d'initiation à la vie chrétienne. L'enseignement et la pratique du Saint-Siège étaient très clairs et explicites. Les Églises du Nord de l'Afrique et d'Orient rejetaient l'autorité du Saint-Siège et répudiaient ainsi la prétention du Saint-Siège à posséder cette « plena potestas regendi ac gubernandi universalem Ecclesiam ». qui est « catholicæ veritatis doctrina a qua deviare salva fide atque salute nemo potest ». Et cependant, tout comme dans la controverse des quartodécimans, les dissidents furent excommuniés par le suprême pasteur de l'Église, et tout comme alors, la communion fut rétablie sans aucune légitimation des actes de juridiction, sans « réconciliation expresse ».

La portée de ce raisonnement est évidente.

Acceptant la définition du schisme formel donnée par M. Boudinhon, j'ai exposé plusieurs cas tirés de l'histoire ecclésiastique, qui démontrent, j'ose le croire, que dans les premiers siècles chrétiens il était possible pour des Églises particulières de n'être pas en communion avec le Saint-Siège, et même d'être excommuniées par lui, sans que les actes de juridiction par elles accomplis aient nécessité une légitimation ultérieure, sans qu'il fût besoin d'une « réconciliation expresse», enfin sans qu'elles aient cessé de faire partie du corps visible de l'Église. Puis j'ai essayé d'indiquer que l'excommunication par le Saint-Siège n'impliquait pas nécessairement et per se l'exclusion de l'Église catholique, mais seulement une rupture de communion avec le Saint-Siège. Si les autres Églises de la chrétienté avaient refusé d'admettre saint Meletius dans leur communion; si elles avaient excommunié les quartodécimans, l'Église du Nord de l'Afrique et les Églises d'Orient qui prenaient parti pour celle d'Afrique, le cas eût alors été différent, car l'excommunication universelle aurait entraîné sans aucun doute l'exclusion absolue de l'Église catholique.

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Mais la grande question est certainement celle que formule M. Boudinhon: « Que signifie et que comporte la primauté du Pape? » Si on prétendait seulement que le Pape est le centre normal de l'unité, si l'on pouvait accorder que certaine rupture de la communion, occasionnée par la défense de certaines libertés, sans aucune intention de se retirer de l'unité de l'Église, bien que cette rupture eût impliqué ou paru impliquer une répudiation de la suprématie du Pape, aurait pu se produire sans que ses auteurs aient cessé d'être membres du corps visible de l'Église catholique, quelle avance ce serait! Cependant on déclare nécessaire la communion avec le Saint-Siège. Mais « nécessaire » dans quel sens? D'une manière ordinaire sans aucun doute, et sub gravi; mais non pas assurément dans ce sens qu'une

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