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ce que nous sommes, pour s'autoriser ensuite à agir contre nous dans toute l'étendue de ce qu'il est. Dans le cours d'une prospérité humaine, dira-t-il à ce mondain, dans le tumulte et le bruit du monde où mille objets t'éblouissoient, te charmoient et occupoient toute ton attention, tu ne te voyois pas ; et parce que tu ne te voyois pas, tu n'avois pour toi-même que de: vaines complaisances. Mais parce que pour ne te pas voir, tu te plaisois à toi-même et tu nourrissois dans ton cœur une secrète estime de toi-même, je déchirerai le bandeau qui t'aveugloit, et il est de ma justice que je te confonde par toi-même, en te représentant à toimême. Tu verras ton crime, non plus pour y remédier, mais pour te le reprocher; non plus pour l'expier par la pénitence, mais pour le ressentir par le désespoir; non plus pour en faire le sujet de ta contrition, mais de ta confusion? Videbis factum tuum, non ut corrigas, sed ut erubescas (1).

Or cette vue, chrétiens, est ce qu'il y aura de plus insupportable à l'homme pécheur : c'est ce qui l'accablera, et ce qui le consternera. Et voilà pourquoi les réprouvés s'adressant, ainsi que le marque expressément saint Matthieu, aux collines et aux montagnes pour implorer leurs secours, ne leur diront point, selon l'observation de saint Chrysostôme, aussi solide qu'ingénieuse : Montagnes, cachez-nous le visage de ce Dieu de gloire, qui nous doit juger; collines, empêchez-nous d'apercevoir ces esprits qui doivent nous tourmenter: mais seulement: Montagnes, tombez sur nous, couvreznous, servez-nous d'un rempart éternel contre nousmêmes. Car c'est de nous-mêmes que nous avons aujourd'hui à nous défendre, et qu'il est de notre intérêt d'éviter l'aspect : Tunc incipient dicere montibus, Cadite -super nos; et collibus Operite, nos (2). Et en effet, si

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dans ce jugement nous pouvions être à couvert de nousmêmes, ni la présence de Jésus-Christ quoique majestueuse, ni celle des démons quoiqu'effrayante, ne seroient plus capables de nous troubler.

Mais venons au détail; et pour tirer de cette première partie tout le fruit que j'en espère, entrons dans la discussion des choses. Nous avons, chrétiens, deux sortes d'erreurs en ce qui regarde Dieu et le salut : des erreurs de fait, et des erreurs de droit. Des erreurs de fait, qui nous ôtent la connoissance de notre propre action; et des erreurs de droit, qui nous font même ignorer notre obligation. C'est à quoi se réduisent tous les désordres d'une conscience erronée. Or, à ces deux genres d'erreurs, Dieu, qui'est la vérité éternelle, et qui, par un privilége de son être, n'est pas moins infaillible pour le fait que pour le droit, opposera cette double infaillibilité de son jugement. Infaillibilité dans les faits, pour nous confondre sur mille péchés auxquels peutêtre nous n'avons jamais bien pensé. Infaillibilité dans le droit, pour nous condamner sur mille points de précepte et d'obligation dont nous nous sommes obstinés à ne vouloir jamais convenir. Ah! chrétiens, que n'ai-je le zèle et l'éloquence des prophètes, pour vous proposer ici l'un et l'autre dans toute sa force?

Nous entassons tous les jours péchés sur péchés : mais avec cela nous vivons tranquilles, nous accusant à peine devant Dieu, et ne nous avouant presque jamais coupables devant les hommes. Pourquoi? parce que nous ne cherchons qu'à nous aveugler sur tout le mal que nous commettons, parce que nous ne nous le reprochons que très-rarement, parce que nous ne l'envisageons que très-superficiellement, parce que nous ne l'approfondissons jamais, et que nous en perdons trèsvolontiers et très-aisément le souvenir. Que fera Dieu ? Parlez, mon Dieu, pour vous-même, et faites-nous

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connoître par les oracles que vous avez prononcés, quel doit être le procédé de votre justice, afin que nous le prévenions, ou que nous soyons inexcusables. Car ce ne sont pas mes raisonnemens, mais vos révélations toutes divines, qui en doivent instruire cet auditoire chrétien. Dieu, mes chers auditeurs, suppléera là-dessus à votre défaut; il recherchera ce que vous aurez négligé, il approfondira ce que vous n'aurez fait qu'effleurer; ce qui manquera au compte que vous vous en serez rendu, il l'ajoutera; ce qui étoit demeuré comme enveloppé dans l'embarras de vos consciences, il le débrouillera. Ainsi nous l'a-t-il formellement déclaré dans ses saintes Ecritures, et en des termes dont l'infidélité la plus endurcie ne peut désavouer qu'elle ne soit émue. Oui, mes frères, ce jugement de Dieu succédera au nôtre, et réformera le nôtre sur quoi? je le répète, sur tant de péchés que notre légèreté, que notre vivacité, que notre dissipation continuelle, que notre précipitation dans l'examen de nous-mêmes, que notre ignorance volontaire fait disparoître à notre vue. Car rien de plus commun que ces péchés inconnus : je dis inconnus même au pécheur qui les a commis, et qui s'en trouve chargé devant Dieu. Je n'en voudrois point de preuve plus sensible que ce qui se passe au tribunal de la pénitence, s'il m'étoit permis de le révéler. Nous y voyons venir des mondains et des mondaines après avoir été des années entières sans en approcher. Ils s'accusent au ministre de Jésus-Christ, et toute cette accusation se termine à quelques faits dont le récit est presque aussitôt achevé que commencé. Est-ce pécheurs sont moins criminels que des ames timorées (je ne dis pas scrupulenses), mais que des ames sagement et solidement chrétiennes, qui dans des confessions de quelques semaines et même de quelques jours, s'expliquent avec toute une autre étendue, et deman

que ces

rence,

dent de notre part beaucoup plus de temps pour les entendre? Il y auroit lieu d'être surpris de cette diffési l'on n'en découvroit pas d'abord le principe. C'est que ces hommes, que ces femmes du siècle, peu en peine de se connoître, ne font presque nul retour sur eux-mêmes, et laissent échapper sans réflexion les points quelquefois les plus essentiels. Combien de pensées, de soupçons, de jugemens, de sentimens, de paroles, d'actions, qui ne leur reviennent point dans l'esprit, parce qu'ils ne se donnent ni le loisir, ni le soin de les rappeler? Combien de consentemens au mal, qu'ils prennent pour de simples tentations? Combien de désirs formés qu'ils ne distinguent point des simples idées? Combien de haines invétérées et depuis long-temps entretenues, qu'ils traitent d'antipathies naturelles et involontaires? Combien de discours libertins qu'ils ne regardent que comme des traits d'esprit et de belle humeur? Combien de tours et de détours, de chicanes et d'artifices, de dissimulations et de supercheries, de violences et de concussions, pour profiter, pour gagner, pour s'avancer, pour s'assurer un héritage, pour s'ingérer dans un emploi? Combien, dis-je, de toutes ces injustices, et combien d'autres, dont ils se savent bon gré, dont ils s'applaudissent, bien loin de les réputer pour des crimes, et qui ne sont dans leur opinion qu'adresse, qu'habileté, que science du monde? Voilà ce qu'ils ne font jamais entrer dans la recherche de leur vie; et quand, selon le devoir de notre ministère, nous voulons être éclaircis là-dessus et qu'ils nous en rendent compte, comment nous répondent-ils, et pour qui passons-nous auprès d'eux?

Mais si, malgré nos soins, nous ne pouvons parvenir à développer ce chaos, et si nous sommes enfin obligés, après avoir pris les mesures convenables, de nous en rapporter à leur propre témoignage, ils ont un juge su

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périeur, qui de leur témoignage en appellera au sien, ou plutôt qui, par son témoignage, les rendra témoins eux-mêmes de toutes leurs iniquités. C'est lorsque, répandant sur eux un rayon de sa vérité, il les éclairera de toutes parts, et qu'il ne laissera rien de si obscur et de si secret qu'il ne produise à la lumière. Vois, pécheur, vois (c'est ainsi qu'il leur parlera à chacun en particulier), suis par ordre tout le cours de tes années : en voilà devant toi toutes les heures et tous les momens. Voilà, sans y rien ajouter et sans y rien omettre, tout ce que tu as pensé, tout ce que tu as dit, tout ce que tu as fait voilà cette passion qui t'a dominé et tous les excès où elle t'a porté : voilà cet intérêt qui ťa corrompu, et toutes les usures, toutes les fourberies qu'il t'a inspirées et que tu as exécutées; voilà cette envie, ce ressentiment qui te dévoroit, et que tu as mille fois satisfait aux dépens de la bonne foi, de l'équité, de toute la compassion naturelle. En un mot, te voilà toimême, et il ne tient qu'à toi de te considérer et de te contempler toi-même. Mais non, il ne tient plus proprement à toi. Car malgré toi je te forcerai éternellement à te considérer de la sorte et à te contempler toi-même : pourquoi? afin que tu te haïsses et que tu te détestes éternellement toi-même. Ainsi, dis-je, parlera le Seigneur; et dites-moi, mes frères, si vous le pouvez, quelle sera la surprise de ce pécheur et son effroi, quand d'une première vue il viendra tout à coup à découvrir cette affreuse multitude de péchés oubliés, de péchés ignorés, de péchés éloignés par la distance des temps, de péchés comptés pour rien et à peine remarqués, de péchés jusque-là ensevelis dans une confusion de faits presque impénétrable, mais alors tellement étalés devant lui et tellement rapprochés de lui, que pas un ne sera soustrait à sa vue, et que tous se montreront à ses

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