Imatges de pàgina
PDF
EPUB

rique de tenir ferme désormais, en quelque rencontre que ce soit, et de demeurer inébranlable. C'est-à-dire, que vous vous jouez vous-même, et que vous prenez plaisir à vous perdre, sans vouloir le remarquer. De là vous vous obstinez toujours à vous présenter au combat, lorsqu'on vous dit qu'il faudroit l'éviter, lorsque Dieu vous ordonne de l'éviter, lorsque mille épreuves funestes vous ont fait connoître qu'il est pour vous d'une conséquence infinie de l'éviter.

D'autant plus coupable, et c'est la seconde réflexion, d'autant plus coupable dans cet entêtement opiniâtre qui vous fait toujours revenir au monde, et aux sociétés du monde, que ces engagemens dont vous pensez pouvoir vous autoriser, ne sont point communément tels que vous vous les représentez. Car il est vrai, après tout, qu'il y en a d'une telle espèce, qu'on ne peut presque les rompre, et qu'il n'est pas même à propos de les rompre sans une évidente et une extrême nécessité. Aussi n'est-ce pas de ceux-là que je parle, et je sais qu'alors on peut se confier en la providence et la grâce de Dieu, lequel ne manque jamais à une ame qui n'agit que selon sa vocation et par son ordre, et qui du reste n'omet de sa part aucune des précautions qu'elle peut apporter : il feroit plutôt des miracles pour la soutenir. Mais à bien examiner ce qu'on appelle dans l'usage le plus ordinaire engagemens du monde, on trouvera que ce ne sont point des engagemens nécessaires : que ce sont des engagemens de passion, des engagemens d'ambition, des engagemens de curiosité, des engagemens de sensualité et de mondanité. Car voilà comment je regarde ces visites si assidues que vous rendez surtout à telles personnes et en telles maisons; ces assemblées où vous vous trouvez si régulièrement, où vous employez presque tout votre temps; ces parties de plaisir et de jeu dont vous, vous faites une des plus grandes occupations de votre vie ;

ces conversations inutiles, où vous écoutez, aux dépens du prochain, tous les bruits du monde, où vous apprenez des autres ce que vous devriez ignorer, et où ils apprennent de vous ce qu'ils devroient eux-mêmes ne pas savoir; ces spectacles où vous n'allez, dites-vous, que par compagnie, mais enfin où vous allez, où vous assistez, et dont le poison s'insinue d'autant plus dangercusement dans votre esprit et dans votre cœur, que vous l'apercevez moins. Voilà comment je regarde ces modes dans les parures, dans les habillemens, dans les ornemens de la tête, dans les agrémens du visage, que la vanité du sexe a introduites et dont elle a fait de si damnables coutumes et de si fausses lois. Voilà comment je regarde tant de liaisons que vous entretenez, tant d'intrigues où vous vous engagez, tant de projets que vous formez. Avouez-le, mon cher auditeur, et ne cherchez point à vous tromper vous-même : ne pourriezvous pas vous passer de tout cela, modérer tout cela, beaucoup retrancher de tout cela ? Mais mon état le demande. Votre état? et quel état? est-ce votre état de chrétien, ou de chrétienne? bien loin de le demander, il le condamne, il le défend. Est-ce votre état de mondain, ou de mondaine? mais qu'est-il nécessaire que dans votre état vous soyez un mondain, ou une mondaine? qu'est-il nécessaire que dans cet état vous vous conduisiez selon l'esprit du monde, et non selon l'esprit de Dieu? Or, l'esprit de Dieu ne connoît point pour de véritables engagemens toutes ces manières et tous ces usages du monde, qui ne sont fondés que sur les principes et sur les sentimens de la nature corrompue.

Vous me direz que le monde sera surpris du divorce que vous ferez avec lui, qu'on en parlera, qu'on en raisonnera, qu'on en raillera. Hé bien, vous laisserez parler le monde ; vous le laisserez raisonner tant qu'il lui

plaira, et vous aurez, malgré tous les discours du monde, la consolation intérieure de voir que vous suivez le bon chemin, que vous vous mettez hors de danger, et que vous vous sauvez. Sera-ce le monde qui viendra vous tirer de l'abîme éternel, quand vous y serez une fois tombé? Sur mille sujets qui se présentent dans la vie, êtes-vous fort en peine de l'opinion du monde; et en faites-vous la règle de vos entreprises et de vos démarches? Si le monde m'approuve, dites-vous, j'en aurai de la joie : mais s'il ne m'approuve pas, je sais ce qui m'est utile et avantageux, et je ne prétends point me rendre l'esclave du monde, ni abandonner de solides intérêts, pour m'asservir à ses vaines idées. Ah! mon cher auditeur, n'aurez-vous donc des mesures à garder avec le monde, ou ne croirez-vous en avoir que sur ce qui concerne votre ame et votre éternité? Mais je dis plus, et je suis persuadé que le monde lui-même vous rendra tôt ou tard la justice qui vous sera due, et qu'il s'édifiera de votre absence et de votre fuite, quand il vous la verra soutenir chrétiennement et sagement.

Quoi qu'il en soit, j'en viens toujours à ma proposition ; et c'est par où je finis : fuyons le monde, sortons de cette Babylone: Egredimini de Babylone (1); retirons-nous, autant qu'il est possible, de cette terre maudite, où règne le trouble et la confusion: Fugite de medio Babylonis (2). Nous y sommes chacun intéressés, puisqu'il y va de notre ame pour chacun de nous. Ne la livrons pas à un ennemi si dangereux. Il ne cherche qu'à la perdre : tirons-la, et s'il le faut, arrachonspar violence de ses mains. Quelque effort qu'il y ait à faire, quelque victoire et quelque sacrifice qu'il en coûte, nous serons bien payés de nos peines, si nous pouvons nous assurer un si riche trésor. Et salvet unusquisque animam suam(3). Vous, surtout, femmes mon

la

(1) Isaï, 48. — (2) Jerem. 51. — (3) Ibid.

[ocr errors]

daines (car il est certain, et nous le voyons, que ce sont communément les personnes du sexe qui s'entêtent davantage du monde, et qui y demeurent attachées avec plus d'obstination), vous, dis-je, femmes du siècle, ayez devant Dieu et devant le monde même, le mérite d'avoir quitté le monde, avant qu'il vous ait quittées. L'accès favorable que vous y avez, que vous y avez, l'encens que vous y recevez, l'empire que vous semblez y exercer tout cela n'a qu'un temps, et qu'un temps bien court. Ce temps est suivi d'un autre où le monde s'éloigne; où il n'a plus que de l'indifférence pour ce qu'il idolâtroit, et même que du mépris, lorsqu'il voit que, malgré toute son indifférence, on s'opiniâtre à le rechercher. Faites par devoir ce qu'il faudra bientôt faire par nécessité. Et vous au moins que le cours des années a en effet réduites dans cette nécessité qui vous est si dure, n'en ayez pas la peine sans en recueillir le fruit. D'involontaire qu'elle est par elle-même, changez-la par une sainte résolution, dans un moyen salutaire de retourner à Dieu, et de vous remettre dans la voie du salut. Tout contribuera à seconder ce dessein, tout le favorisera. Dieu par sa grâce vous y aidera, et le monde y ajoutera son suffrage. Car si vous avez à craindre les railleries du monde, ce n'est plus désormais quand vous vivrez séparées de lui, mais au contraire quand vous voudrez toujours entretenir les mêmes liaisons avec lui. Autrefois il eût demandé pourquoi l'on ne vous voyoit point ici ni là; mais peut-être commence-t-il maintenant à demander pourquoi l'on vous y trouve, et ce qui vous y attire. Heureuses que votre Dieu soit encore disposé à vous recevoir, quoique vous n'ayez que les restes, et, si j'ose le dire, que le rebut du monde à lui offrir.

Ce n'est pas toutefois, chrétiens, pour ne rien exagérer, qu'il n'y ait un certain monde dont la société peut être innocente, et avec qui vous pouvez conver

ser. Dieu s'est réservé partout des serviteurs, et au milieu des eaux qui inondèrent la terre, il y avoit une arche qui renfermoit une famille sainte et une assemblée de justes. Ainsi jusque dans le siècle, il y a un monde fidèle, un monde réglé, un monde, si je puis m'exprimer de la sorte, qui n'est point monde. Dès que vous vous en tiendrez là, et que, du reste, vous garderez toute la modération nécessaire, c'est-à-dire, que vous ne passerez point les bornes d'une bienséance raisonnable, d'une amitié honnête, et, si vous voulez, d'une réjouissance modeste et chrétienne, j'y consentirai. Encore vous dirai-je alors que vous devez veiller sur vous-mêmes, et que vous devez vous défier de vousmêmes, que vous devez bien mesurer les temps que vous y donnez, que vous devez bien examiner les impressions que vous en rapportez ; et que pour ne vous y pas tromper, vous ne devez jamais oublier l'importante pratique que je vous ai d'abord proposée, d'avoir vos heures de recueillement et d'une solitude entière, où vous vous demandiez compte à vous-mêmes de vous-mêmes, et où vous vous prépariez à le rendre à Dieu, et à recevoir de lui la récompense éternelle, que je vous souhaite, etc.

« AnteriorContinua »