Imatges de pàgina
PDF
EPUB

mettre l'épée hors le fourreau, ny qu'il y eut un seul blessé de sa part.

Le Roy fit dire au duc de Feria, à dom Diego d'lbarra, à Jean-Baptiste Taxis, et autres chefs et colonels etrangers qui avoient été tout ce temps en conseil et deliberation avec grand peur et étonnement, sans rien faire ny agir, que s'ils vouloient se retirer avec leurs Espagnols, Wallons et Neapolitains, il leur donneroit saufconduit et seureté, pourveu qu'ils ne s'en rendissent indignes. Ce qu'ils accepterent franchement : et furent prests à sortir dès le jour même, comme s'ils s'y fussent preparés de loin; et le Roy, qui avoit disné avec son corselet et ses armes, les quitta, et fut à la porte de Saint Denis, où il monta à la chambre qui est au-dessus d'icelle, pour les voir passer; et saluant les chefs principaux, leur disoit : « Allés, recommandés<< moy bien à vostre maistre; mais n'y revenés plus. Ce qu'ils ne firent semblant d'entendre.

Sortirent avec eux le borgne Boucher, bien fourny de pouilles et d'imprecations, dont le peuple le chargeoit au passage; et cinquante à soixante que moines, que predicateurs, scelerats, voleurs et brigans qui n'eurent confiance à la clemence du Roy, et ne la meritoient gueres; et se retirerent au pays de Flandres, et un attirail de garces et vilaines que les soldats trainoient après eux.

Le Roy retint à luy le capitaine Saint-Quentin, colonel d'un regiment de Wallons, et son frere que l'echevin Langlois avoit peu auparavant pratiqué; et avoit le duc de Feria fait arrester prisonnier ledit colonel, et vouloit luy faire mauvais party: pourquoy dès que le Roy fut dans Paris, il envoya le demander à ce duc,

qui le rendit aussy-tot. Resterent aussy de Wallons et de Neapolitains un bon nombre que le Roy garda pour s'en servir, et point d'Espagnols.

M. de Saint Luc (1) et le baron de Salagnac (2) conduisirent le demeurant, qui montoit bien à trois mil et plus, armés de pied en cap; et passerent tous devant le Roy, qu'ils saluerent et s'inclinerent profondement le chapeau à la main, marchans en bon ordre quatre à quatre, les Neapolitains les premiers, puis les Espagnols; après, le duc de Feria, dom Diego d'Ibarra, et Jean-Baptiste Taxis, bien montés sur beaux genets d'Espagne, avec leurs domestiques, gens de suite et livrée; et derriere les lansquenets et Wallons. Et allerent en cet ordre jusqu'au Bourget, à deux lieues de Paris, où Saint-Luc et Salagnac les laisserent, sous l'escorte qui leur fut donnée jusqu'à l'Arbre de Guise, où est la separation et frontiere du costé de Picardie et de Flandres; la pluspart ayant juré et promis de ne jamais porter armes contre la France.

Le Roy avoit aussy envoyé M. de Saint Luc vers les cardinaux de Pellevé et de Plaisance, et aux duchesses de Montpensier et de Nemours, pour les asseurer qu'il ne leur seroit fait aucun deplaisir; et laissa des gardes à leurs hotels, encor qu'il n'en fût pas besoin, tout se passant avec une pleine tranquilité.

Le cardinal Pelé ou Pellevé étoit au lit grievement malade; et comme mauvais François et determiné li

(1) M. de Saint-Luc : François d'Epinay de Saint-Luc, grand maître de l'artillerie de France, qui avoit épousé Jeanne de Cossé, sœur du maréchal de Brissac, avec lequel il négocia pour la réduction de Paris, sous prétexte de quelques affaires de famille qu'ils avoient ensemble.

(1) Le baron de Salagnac : Bertrand de Salignac, chevalier du SaintEsprit, mort en 1599.

gueur, ne put entendre que le Roy étoit dans Paris, et bien voulu de ses bons sujets, sans entrer dans un grand trouble. Ce qui le jetta en telle frenaisie, qu'il se mit à crier comme un enragé qu'il étoit : « Qu'on le « prenne, qu'on le prenne! » Et mourut le samedy 26 mars, de douleur et de rage, à ce que chacun disoit, de ce que les affaires de la Ligue s'en alloient en deroute, et que le Roy étoit dans Paris, et avoit par tout la victoire.

L'eveque de Plaisance, legat vers la Ligue à Paris, se montra si fier et si orgueilleux, que quelques raisons et remontrances que l'on pût luy faire et dire, on ne le sceut induire ny persuader à aller voir et saluer Sa Majesté, encor que pour l'y attirer le Roy eût usé en son endroit d'offres et de soumissions jugées trop basses pour la majesté d'un si grand prince.

Après cette sortie d'étrangers, furent faits feux de joye et grandes rejouissances par les rues, et en tous les quartiers de la ville, avec cris de vive le Roy! vive la paix et la liberté! tous les bons bourgeois et le moyen et menu peuple étans fort contens de se voir hors d'esclavage, et de la faction et gouvernement des Seize, et remis en liberté dans leurs honneurs et biens, delivrés de la tirannie des Espagnols et etrangers, estimée très-dure et insupportable aux François. Ce que chacun fit à l'envie, tant ceux qui hayssoient veritablement la Ligue, que ceux qui dans leur ame n'estoient pas fort. contens d'un tel changement, et n'osoient pourtant le demontrer; et y fut employée la meilleure partie de la nuit.

Le mercredy 23 mars, M. d'O fut remis par le Roy en son gouvernement de Paris, dont il avoit été

chassé et depouillé au temps des Barricades, le 12 de may, 1588, et n'y étoit depuis rentré : et auroient les Parisiens bien autant aimé un autre gouverneur, celuycy n'étant pas trop bien voulu de plusieurs.

Il eut, avec aucuns du conseil de Sa Majesté, une commission pour aller en l'hôtel-de-ville recevoir les sermens des officiers du Roy, qui étoient restés à Paris durant les troubles. En quoy il y eut debat : plusieurs qui vouloient bien faire les sermens faisans difficulté de le prester devant luy, se retirerent, quelques raisons que l'on pust leur dire.

[ocr errors]

Le samedy 26, le capitaine Du Bourg, qui tenoit le chateau de la Bastille, lequel il n'avoit voulu rendre qu'il n'eût auparavant envoyé vers le duc de Mayenne, et qui le jour que le Roy entra dans Paris avoit fait tirer quelques coups de son canon sur la ville, capitula d'en sortir, luy et les soldats qui y tenoient garnison, avec armes et bagages, pour estre conduits sous escorte en la ville la plus prochaine de son party. Ce qui fut executé le lendemain 27, jour de dimanche.

Le chateau de Vincennes, où commandoit le capitaine Baulieu, se rendit aussy le même jour, et aux mêmes conditions.

Le dimanche 27, M. le chancelier manda maistres Antoine Loisel et François Pithou, anciens avocats au parlement, et leur dit que Sa Majesté les avoit ordonnés pour ses avocat et procureur generaux, et en faire les fonctions, tant pour le restablissement de son parlement que autrement, en attendant le retour des gens du Roy qui estoient à Tours avec le parlement, et n'avoient encor eu le temps de se rendre à Paris pour y reprendre l'exercice de leurs offices; et qu'ils eussent

à s'y apprester, car le Roy vouloit que son parlement fût retably au plutôt ; et qu'il iroit à cet effet le lendemain en la grande chambre d'iceluy, où ils se trouveroient. Et en outre leur dit que charge leur étoit donnée de faire oster et enlever des registres publics, tant du parlement que autres, tout ce qui se trouveroit y avoir été mis contre et au prejudice de la dignité et majesté du Roy regnant et du Roy deffunt, et contre les loix du royaume; et aussy oster des eglises, cloistres, monasteres, colleges, maisons communes, lieux et endroits publics, les tableaux, inscriptions et autres marques qui pouvoient conserver la memoire de ce qui s'est passé à Paris pendant qu'il a été au pouvoir de la Ligue.

Ce même jour, le Roy se voyant tranquille et maistre dans sa capitale, chery et aimé de ses sujets, se confiant en leur affection et bonne volonté de s'estre si librement remis à sa clemence sans conditions ny traité, commença à faire vuider la ville par les troupes qu'il y avoit fait venir, et renvoya aussy sa gendarmerie autre part où il en avoit plus de besoin, ne conservant qu'une simple garde par honneur, et par la grande confiance qu'il vouloit prendre en ses peuples, qu'il disoit étre la plus seure pour un roy.

Ce même jour M. de Villars fit son traitté particulier pour Rouen, le Havre, Harfleur, Montivilliers, Ponteau de Mer et Verneuil; lequel traitté ne parut pourtant que peu de jours après, ayant été beaucoup traversé par La Chapelle Marteau, fieffé ligueur, qui se rendit exprès à Rouen, et n'y fit que blanchir. Et est M. de Villars celuy de tous les chefs de la Ligue qui s'est fait le mieux payer, s'étant fait donner tous les gouvernemens de ces villes, avec encor celuy de Fes

« AnteriorContinua »