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Dés le matin, le Roy avoit envoié vers eux M. le comte de Saint Pol, avec charge de dire au duc de Feria, comme il fit, que Sa Majesté tenant en sa main et leurs vies et leurs biens, il ne vouloit toutefois ni de l'un ni de l'autre ains que liberalement il le leur remectoit, moiennant que promptement ils sortissent sa ville de Paris, sans aucune dilation ou excuse. Ce que le dit duc aiant promis, et assés promptement, comme celui qui ne s'attendoit pas d'en sortir à si bon marché, s'escria par deux ou trois fois : « Ah! grand « roy, grand roy! »

Sa Majesté fit aussi-tôt publier par la ville une declaration arrestée à Senlis le 20 de ce mois, par laquelle il pardonnoit à tout le monde, mesmes aux Seize.

Puis envoia donner le bon jour à mesdames de Nemoux et de Montpensier, et les asseurer qu'il ne seroit fait tort aucun à leurs personnes, biens et maisons : / lesquelles il avoit pris et prenoit en sa protection et sauvegarde. Lesquelles, bien que deconfortées, en remercierent bien humblement Sa Majesté, et en dirent un grand merci bien bas.

A la premiere nouvelle qu'en receust madame de Montpensier, lors qu'on lui vinst dire de bon matin que le Roi estoit dedans Paris, elle se monstra tellement esperdue et comme desesperée, qu'elle demanda s'il y avoit point quelcun qui lui peust donner d'un coup de poingnard dans le sein. Puis aiant un peu repris ses esprits, tourna sa colere contre M. de Brissac, l'appelant meschant et traïstre, disant que dés long temps elle sçavoit qu'il estoit poltron; mais que de traïstre elle ne l'avoit congneu que jusques à ce jour.

Ce jour, sur les trois heures aprés midi, le duc de

Feria avec les garnisons estrangeres sortirent de Paris par la porte Saint Denis, au dessus de laquelle il y a une fenestre, où le Roy se mist pour les voir passer.

Le duc de Feria le salua à l'espagnole, comme on dist: c'est à dire gravement et meigrement. Dequoi le Roy se moqua; et lui ostant à moictié son chappeau, le contrefaisoit aprés fort plaisamment.

Une femme d'un Hespagnol passant avec les troupes pria qu'on luy monstrast le Roy, disant tout hault que la France estoit heureuse d'avoir un si grand roy, si bon, si doux et si clement, lequel leur avoit pardonné à tous. Et que s'ils l'eussent tenu comme il les tenoit, qu'ils n'eussent eu garde de lui en faire autant. Aprés qu'on lui eust monstré le Roy : « Je le vois, dist elle; » et le regardant, commença de lui crier tout haut : « Je << prie à Dieu, bon roy, que Dieu te doint toute prosperité! Et de moi estant en mon pays, et quelque «< part que je sois, je te benirai tousjours, et celebre<< rai ta grandeur, ta bonté et ta clemence. >>

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Les Neapolitains aussi s'en allans, disoient : « Vous <«< avez aujourd'hui un bon roy, au lieu d'un prince << tresmeschant que vous aviés. »

Au president de Nully, qui ce jour se presenta pour faire la reverence à Sa Majesté, elle fit demander par Sanssi en quelle qualité il la lui vouloit faire. Auquel ledit president ayant respondu que c'estoit en qualité de son treshumble et tresobeissant subject et serviteur; le Roy l'ayant entendu, lui renvoia dire par Sanssi qu'il ne tenoit point pour ses subjets ni pour ses serviteurs ceux qui l'estoient de l'Espagnol; et qu'il ne laissast pas, si bon lui sembloit, de s'en aller avec eux. Au president de Hacqueville il dit ces mots : « M. le

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president, je suis bien aise de vous voir; je sçai les « bons offices que m'avez fait ici : je vous en remercie. « Toutefois, quand il estoit question de quelque affaire qui importoit à mon service, vous estiés ordinaire<«<ment malade. Je suis d'avis que vous vous retiriés à << vostre grand conseil. »

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Pour le secretaire Nicolas, Sa Majesté le manda à son disner, pour en tirer du plaisir. Lui ayant demandé qui il avoit suivi pendant les troubles, ledit Nicolas lui respondit qu'il avoit à la verité quitté le soleil et suivi la lune. « Mais que veux-tu dire de me voir ainsi à Paris comme j'y suis?-Je dis, sire, respondit Nicolas, qu'on a rendu à Cæsar ce qui appartenoit à Cæsar, «< comme il faut rendre à Dieu ce qui appartient à << Dieu. - Ventre saint gris, respondit le Roy, on ne « m'a pas fait comme à Cæsar, car on ne me l'a pas << rendu à moy : on me l'a bien vendu. » Cela dit-il en presence de M. de Brissac, du prevost des marchands, et autres vendeurs qu'il appeloit.

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Ce jour, à l'instance de l'ambassadeur d'Angleterre, le tableau de la cruauté de la roine d'Angleterre contre les catholiques, estalé par la Ligue dans la grande eglise de Nostre Dame, en fust osté, par commandement exprés de Sa Majesté.

Le mesme jour, Sa Majesté ayant receu deux advis d'importance, elle dit à ceux qui lui en parloient ces mots : « Il faut que je vous confesse que je suis si eny« vré d'aise de me voir où je suis, que je ne sçai que << vous me dites, ni ce que je vous dois dire. »

A messieurs de la ville, qui lui presenterent ce jour de l'hippocras, de la dragée et des flambeaux, sup, plians Sa Majesté d'excuser la pauvreté de sa ville de

Paris, il leur dit qu'il les remercioit de ce que le jour de devant ils lui avoient fait present de leurs cœurs, et maintenant de leurs biens; qu'il les acceptoit de bon cœur. Et pour leur monstrer, qu'il demeureroit avec eux et en leur garde, et qu'il n'en vouloit point d'autre que la leur.

.. Comme il se mettoit à table pour soupper, il dit en riant qu'il sentoit bien à ses pieds, qui estoient moicmais pour le

tes, qu'il s'estoit crotté venant à Paris; mais moins qu'il n'avoit pas perdu ses pas.

Le mecredi 23, le soubschantre Nostre Dame, qui le jour de devant avoit presenté la croix au Roy à l'entrée de l'eglise, mourut à deux heures aprés minuict, n'ayant esté malade que deux heures. Ce que ceux de la Ligue interpretoient à punition divine.

Ce jour, le Roy alla ouir la messe à la Sainte Chapelle, où je le vis entrer.

Le jour mesme, en la ruë de l'Arondelle, un gentilhomme qui estoit au Roy, accompagné de deux ou trois autres, ayant avisé le curé de Saint André avec celui de Saint Germain de l'Auxerrois, qu'on appelloit le curé du Roy; l'ayant accosté, lui demanda s'il estoit pas bien resjoui d'avoir un si bon paroissien que le Roy, et s'il ne vouloit pas crier vive le Roy? Auquel ledit curé respondit qu'on y aviseroit, et qu'on n'en estoit pas encores là. Lors ce gentilhomme entrant en colere, lui dit en jurant que s'il n'eust eu crainte de desplaire au Roy son maistre, qu'il le lui eust fait crier tout à l'heure, voire bien hault.

Ces jours de mecredi et jeudi, à Saint André et en quelques autres paroisses de Paris, les prœbstres ne vouloient confesser, que prealablement ils ne sceussent

de ceux qui s'y presentoient s'ils avoient esté bien aises de la venue du Roy à Paris. Et ceux qui disoient qu'oui, les renvoyoient, et ne les vouloient confesser.

Les predications aussi cesserent, disans tout haut les predicateurs qu'ils ne pouvoient prescher autrement qu'ils avoient presché. Ce qu'estant rapporté au Roy, dit qu'il les faloit excuser, pour ce qu'ils estoient encore faschés.

Ung patissier de devant Saint Sevrin fust bien si impudent et hardi, jusques là de dire en plaine rue que le jour de devant il estoit bien entré des chiens à Paris: mais qu'il les faloit avoir. Pour lesquelles paroles fut

contraint de s'absenter.

Ce jour mesme, une honneste damoiselle donna advis de deux bourgeois de la ville, l'un masson et l'autre boulanger, qui tous deux avoient dit qu'ils estoient resolus de mourir : mais que devant ils tueroient le Roy.

Le jeudi 24 mars, le curé de Saint Jacques de la Boucherie, auquel on avoit envoyé un billet (ce qu'il meritoit bien, et pis), communia seize personnes dans l'eglise de l'Avé Maria; et aprés leur dit qu'ils remerciassent Dieu de ce que les choses s'estoient passées si doucement en la reduction de Paris; que le Roy s'estoit monstré merveilleusement doux et bening, en ce qu'il leur avoit à tous pardonné, combien que plusieurs d'entre eux eussent fait de mauvais actes, et irremissibles; qu'il n'en pouvoit dire autre chose, si non que c'estoit un bon roy. Quant à lui, qu'il falloit qu'il s'en allast; mais en quelque part qu'il fust, qu'il celebreroit tousjours et loueroit sa generosité et clemence.

Ce jour, le Roy vinst voir madame de Nemoux, avec

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