Imatges de pàgina
PDF
EPUB

UNE CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DU PAULINISME

DE LA

QUESTION DE L'ORIGINE DU PÉCHÉ D'APRÈS LES LETTRES DE L'APOTRE PAUL

La manière dont l'apôtre Paul s'est représenté l'origine du péché et s'en est expliqué l'universelle et fatale domination dans le monde, est un des points les plus obscurs et les plus controversés de sa doctrine. Cette obscurité ne tient point au style de ses lettres; nous n'en connaissons aucun, avec tant d'infirmités extérieures, qui soit en réalité plus précis, plus vigoureux et plus clair. Si la question de l'origine du mal moral reste mal éclaircie dans ses lettres même les plus didactiques, c'est que Paul, missionnaire du Christ encore plus que philosophe, ne l'a jamais ni posée ni résolue d'une façon directe. Il était préoccupé d'autre chose que de spéculation et de logique. Il éprouvait bien plus le désir de changer le monde que de le comprendre. Sans doute un système théologique, d'une admirable unité, se dégage des écrits qui nous restent de lui, parce qu'il est dans la nature même de tout esprit original et puissant de penser systématiquement; mais il est juste de dire qu'il n'eut jamais le propos délibéré ni même l'intention de faire un système. Il n'a jamais procédé à la manière d'un philosophe qui construit d'abord sa doctrine et qui l'enseigne ensuite à ses disciples. Il y avait autre chose que de la métaphysique à la base de sa prédication; il

y avait le fait moral de sa conversion, la certitude qu'il avait vu le Christ ressuscité et avait reçu de lui l'ordre de convertir les païens au Dieu vivant et vrai. Jamais il n'a traité de question purement spéculative. Toutes celles qu'il a débattues et résolues avec la vigueur et l'ingéniosité de sa dialectique sont des questions qui naissaient de son œuvre missionnaire et qu'il fallait résoudre dans l'intérêt de cette œuvre elle-même: telles sont les questions de la justification par la foi, de la circoncision et de la valeur de la loi dans l'économie de la religion nouvelle, de la condition des juifs et des païens devant l'Évangile. Sur tous ces points d'ordre pratique, il a fait une éclatante lumière. Au contraire, sur les questions d'ordre spéculatif ou métaphysique, comme la nature essentielle du Christ, la nature du Saint-Esprit, la distinction des forces ou des personnes dans la divinité, l'origine du monde et de l'homme, les rapports de la liberté et de la grâce, il ne s'est jamais expliqué d'une façon expresse et formelle et l'on est le plus souvent réduit à les résoudre suivant le reflet que les principes généraux et directeurs de sa doctrine paraissent jeter sur elles. De là viennent des controverses sans fin. Or, la question de l'origine du péché est, au premier chef, une de ces questions spéculatives et les exégètes les plus consciencieux discutent toujours sur les textes qui s'y rapportent sans réussir à se mettre d'accord sur la manière de les entendre.

Il y a quelques années, en préparant la seconde édition de l'Apôtre Paul', je me suis heurté à cette question et n'ai pu alors que faire l'aveu de mes hésitations et de mon embarras. Je constatai sur ce point, dans la pensée de l'apôtre, deux courants allant en sens contraires : l'un qui semblait conduire à la doctrine traditionnelle du péché originel; l'autre qui nous

1) L'apôtre Paul (esquisse d'une histoire de sa pensée), 2. édit. Paris. Fischbacher 1881.-Voyez la note de la page 266. On y trouvera l'idée-mère de cette étude.

ramenait à la constitution physiologique de l'homme comme à la cause de tout péché. J'avouais en même temps que je ne voyais pas comment ces deux explications se pouvaient concilier. Le problème était ainsi posé, non résolu. On ne saurait admettre en effet dans la pensée d'un tel homme une contradiction si flagrante. Je me suis donc remis en quête d'une solution et c'est le résultat de cette nouvelle étude que je vais essayer de résumer ici. Peut-être trouvera-t-on qu'une lumière assez vive jaillit de ce point sur tout le reste du système.

Cette étude comprendra deux parties: dans la première, j'examinerai les textes les plus importants relatifs à la doctrine du péché; dans la seconde, j'essaierai de montrer la corrélation intime et l'étroite solidarité de cette doctrine avec les autres grandes idées du système paulinien. C'est dire que la seconde partie sera comme la vérification logique de la première.

I

Les racines de la pensée de Paul sont dans l'Ancien Testament. Sa conscience est l'héritière et la fille de la tradition religieuse et morale des prophètes d'Israël et de la loi mosaïque dont le trait principal est le souci de la sainteté. Le péché est essentiellement pour elle la transgression d'une loi positive de Dieu (napabáig To vópou). C'est assez dire qu'il est le fait de la volonté, et n'est constitué que par la détermination de la volonté. Cette désobéissance, qui est une révolte contre Dieu, provoque nécessairement le déploiement de la colère de Dieu (opy, Rom., 1, 18), qui n'est pas autre chose que la réaction de la justice divine contre la rébellion humaine. Le sentiment de la culpabilité et de la responsabilité est une donnée immédiate de l'expérience religieuse et morale, au delà de laquelle Paul ne songe pas à remonter. C'est le point de départ de ses réflexions subséquentes, que celles

ci, quelles qu'elles soient, ne sauraient ensuite ni modifier, ni compromettre (Rom., 1, 21 et 11; I, 1-11).

Toutefois, l'on s'aperçoit bien vite que l'on a affaire, non à un esprit du commun, mais à un penseur. Le châtiment infligé par Dieu au péché n'est point considéré comme une peine arbitraire et surnaturellement édictée contre le mal. La peine du péché sort du péché lui-même par un mouvement organique ; elle en est le châtiment parce qu'elle en est le fruit. C'est la dialectique intérieure de la vie morale qui mène le pécheur à la mort, comme elle mène le juste à la vie. Relisez le développement du péché dans le monde païen esquissé dans le premier chapitre de la lettre aux chrétiens de Rome; cette liaison interne de la mort au péché est sensible. Nous avons un seul et même processus dont la violation de la loi divine est le premier moment et dont la mort du pécheur est le dernier'. Voilà ce qui fait la tragique gravité du péché et la nécessité d'une rédemption qui sera comme une création intérieure nouvelle et comme une résurrection d'entre les morts.

1. Paul emploie au pluriel et au singulier le mot áμaptía. Au singulier, ce mot ne représente pas seulement la somme de tous les péchés particuliers. L'apôtre est réaliste, pour parler le langage du moyen âge. Sa personnification du péché n'est pas une simple figure de rhétorique. Il y voit une puissance qui ne se révèle sans doute que dans ses effets, à savoir, les transgressions particulières, mais dont les effets aussi ne s'expliquent que par elle. Nous avons ici exactement le rapport organique des individus à l'espèce. L'espèce n'existe que dans les individus; mais les individus à leur tour sont les produits de l'espèce. Ainsi en est-il du péché considéré comme puissance et principe des transgressions parti

1) Cette idée est vivement exprimée dans ce passage dont il est impossible de rendre l'énergie concise : τὰ παθήματα τῶν ἁμαρτίων τὰ διὰ τοῦ νόμου ἐνηργεῖτο ἐν τοῖς μέλεσιν ἡμῶν εἰς τὸ καρποφορῆσαι τῷ θανάτῳ. (Rom., vir, 5.) Le péché fructifie pour la mort.

« AnteriorContinua »