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culières. Les secondes sont les manifestations organiques du premier. Celui-ci n'existe sans doute que dans celles-là, mais les transgressions à leur tour apparaissent à ce point de vue comme les fruits de la puissance générale du péché, qui, entrée dans le monde avec la première transgression du premier homme, y règne souverainement depuis lors.

Le péché est universel; tous les hommes sont constitués pécheurs. Cette universalité du péché, Paul l'établit par trois preuves la première est tirée de l'observation empirique de l'état moral du monde païen et du monde juif de son temps (Rom., 1 et 11). La seconde, c'est la preuve scripturaire qu'il ne néglige jamais (Rom., 11, 10-20). « Il n'y a point de justes, non, pas même un seul... etc. » La troisième, essentiellement psychologique, va beaucoup plus loin et plus au fond. A l'universalité objective du péché dans l'histoire, correspond la fatalité subjective du péché dans chaque individu, fatalité fondée sur le conflit de la nature charnelle de l'homme et de la loi toute spirituelle et parfaite de Dieu (Rom., vii, 7 et s.). L'apôtre n'hésite pas à reconnaître dans cette universalité et cette nécessité intime du péché qu'il constate au dehors et au dedans, une loi divine qui se réalise dans l'histoire et dans la vie individuelle. Car même le péché ne se développe sans loi. « Dieu, dira-t-il, quand il résumera son système, a enclos d'abord tous les hommes pour la désobéissance, afin de faire ensuite miséricorde à tous » (Rom., X1, 32). Il y a une dialectique providentielle dans l'histoire de l'homme sous la domination du péché, comme il y en a une dans le développement de l'œuvre de rédemption; ou plutôt c'est une seule et même dialectique qui mène à son terme l'idée divine de la justice par deux moments opposés et successifs.

Jusque-là tout va clairement et les exégètes sont d'accord.

1) C'est dans le même sens que Paul dans Rom., vii, 23 parle d'une loi dans les membres luttant contre la loi de l'entendement, vouoc év toïç μédeoiv.

il

La difficulté commence dès qu'on se demande où est la cause première et de cette fatalité psychologique et de cette universalité historique du péché. C'est ici que nous rencontrons deux séries de textes, qui nous mènent dans deux directions opposées ou tout au moins divergentes'. D'abord ceux sur lesquels on appuie d'ordinaire, à partir de saint Augustin, la doctrine traditionnelle du péché originel. Que Paul ramène ce fleuve du péché au péché du premier homme comme à sa source, cela ne fait aucun doute. Mais il ne faut pas confondre le commencement d'une chose avec sa cause, et il s'agit de savoir si ce premier péché, en même temps que cause, n'était pas lui-même l'effet d'une cause plus profonde et plus générale. En attendant, à côté de ces textes qui ramènent le fleuve du péché dans le monde au péché d'Adam, y en a d'autres non moins explicites, non moins éloquents qui font sortir le péché de la rencontre de la loi et de la chair. On saisit la différence radicale des deux explications: d'après la première, on explique les péchés actuels, par le péché du premier homme qui reste lui-même alors un acte sans explication et sans cause; d'après la seconde, on peut expliquer le péché du premier homme par la même raison qui explique aujourd'hui tous les autres. La pensée de Paul est-elle restée dans cette antinomie? N'y a-t-il aucun moyen de subordonner les uns aux autres, et d'expliquer les uns par les autres, les passages contraires qui semblent la créer? En d'autres termes, avons-nous à constater une incohérence dans le système paulinien, ou une erreur d'exégèse de la part de ceux qui l'ont commenté? Pour en décider, il est nécessaire de reprendre l'étude de ces textes eux-mêmes et de préciser exactement la portée de chacun d'eux.

2. Nous commencerons par le plus célèbre qui se présente

1) La première série de ces textes comprend : Rom., v, 12-21 et II Cor., X1, 3 et ss. La seconde série est formée surtout de Rom., vII, 7-24; VIII, 3; Gal., v, 17 et 18, etc.

à nous le premier (Rom., v, 12-21). Ce serait une erreur de croire que l'apôtre est ici préoccupé de donner une solution à la question métaphysique de l'origine du péché. Le contexte prouve qu'il avait un souci plus pratique et tout différent. Il avait parlé précédemment de l'œuvre de réconciliation entre Dieu et les hommes, opérée en Jésus-Christ. Ce qu'il tente maintenant, du verset 12 au 21, c'est un parallèle entre le développement dans l'histoire de l'humanité, du principe de péché qui est un principe de mort et le développement du principe de vie qui est dans la justice justifiante du Christ. Et l'intention de ce parallèle n'est pas d'expliquer la provenance du péché, mais d'exalter l'œuvre de la grâce en montrant que celle-ci a été encore plus puissante que le péché; car, outre qu'elle est universelle comme lui, elle a cela de plus, qu'elle agit et triomphe dans des conditions beaucoup plus difficiles (vers. 15-16). Ainsi, malgré les apparences, le point de départ de la pensée de Paul, n'est pas Adam, mais Christ. Le premier ne sert que d'illustration au second : ̓Αδάμ, ὅς ἐστιν τύπος τοῦ μéλλovτos (vers. 14). Cela dit, voyons ce que l'on peut tirer de ce texte, pour éclaircir le point qui nous intéresse.

Nous y lisons d'abord que le péché est entré dans le monde par un seul homme, c'est-à-dire que le péché, en tant que puissance générale ici personnifiée, a fait son apparition dans l'histoire au moment où le premier homme a commis sa première transgression. Il ne faut pas confondre en effet cette auaprix qui entre dans le monde alors, avec le péché d'Adam qui est une pés spéciale. C'est par la πzpzéźsię, παραβάσις, acte positif particulier, que l'apaptíz, puissance ou virtualité universelle, se réalise et entre dans la vie de l'histoire, en sorte que cette auapríz générale comprend, en réalité, et la transgression d'Adam et celles de tous ses fils, comme le principe contient les conséquences, et l'espèce, les individus. Or, dès que l'on entre bien dans cette manière de penser, n'est-il pas déjà très vraisemblable que Paul regardait l'acte particulier d'Adam, comme l'effet de la puissance générale du péché, et non celle-ci comme produite

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par celui-là? Si l'on ne peut douter que Paul ne soit un idéaliste-réaliste par le genre de ses conceptions, on ne peut douter davantage que l'acte particulier ne fût pour lui l'effet du principe général et non le contraire. Dès lors, il ne faut point dire, comme on le fait, que la mapabάcis d'Adam a créé dans le monde la puissance générale et universelle de l'apaptía, mais que celle-ci, au contraire, a été la cause productrice de la transgression première d'Adam, comme de toutes celles qui l'ont suivie.

Il ne suit pas de là que le premier péché n'ait pas plus d'importance historique que tous les autres. Il est de même nature sans doute, mais il est le premier, la source de tous les autres, et tous les autres tiennent à lui comme tous les anneaux d'une chaîne tiennent au premier anneau, comme le cours d'un fleuve tient à sa source. Il faut même dire plus: toute la puissance de péché, aujourd'hui disséminée et partagée entre une infinité d'actes particuliers mauvais, se trouvait concentrée et condensée dans le premier péché. De même que le premier homme portait dans ses flancs toute l'humanité, de même sa première transgression était grosse de toutes les transgressions futures, non pas en ce sens que l'acte d'Adam souillât toute sa descendance, mais en ce sens que ce premier péché était la manifestation d'une puissance de péché qui allait se réaliser dans la vie de chaque homme comme elle s'était réalisée dans celle d'Adam. C'est pour cela que l'apôtre écrit ces mots d'évès avoрúñοv et qu'il dira plus loin : « Par le moyen de la désobéissance d'un seul homme, la totalité a été constituée pécheresse. >> Cela ne veut pas dire le moins du monde que la désobéissance d'Adam et sa coulpe ont été imputées à toute sa race, mais que sa désobéissance a été la brèche première par laquelle la puissance du péché est entrée et s'est réalisée dans l'histoire sous la forme d'une infinité de transgressions. Ce qui suit va achever de le démontrer.

A la suite de la puissance du péché, la mort est entrée dans le monde « et s'est étendue à tous les hommes parce

que tous ont péché : εἰς πάντας ἀνθρώπους διῆλθεν ἐφ ̓ ᾧ πάντες ртov (v. 12). On n'aurait pas si longtemps ni si bizarrement disputé sur ces mots, si depuis saint Augustin on n'avait pas voulu y faire entrer le contraire de ce qu'ils signifient le plus clairement du monde. La conjonction ' mise pour éi touto ἐπὶ τοῦτο ö est souvent employée par l'apôtre et toujours dans le sens de « parce que »'. L'aoriste uaptov n'est pas moins clair; il est impossible, comme je l'ai pensé autrefois, de le traduire par le passif «< ont été faits pécheurs ». Ila le sens actif et signifie simplement ont péché, c'est-à-dire la mort est venue sur tous les hommes, parce que tous ont commis aussi des transgressions, en sorte que leur mort arrive non en vertu du péché d'Adam, mais en vertu de leurs propres péchés. Ce πάντες ἥμαρτον exprime donc la réalisation subjective et universelle de la puissance objective du péché. Il faut, en effet, que le péché existe comme péché, c'est-à-dire comme violation positive de la loi, avant de pouvoir produire la mort. On voit donc que, loin d'appuyer la doctrine devenue orthodoxe depuis Augustin, du péché originel, le texte de Paul implique et exprime une doctrine toute contraire.

Ce qui suit immédiatement prouve en toute évidence que nous sommes sur la voie de la pensée de l'apôtre. Les versets 13 et 14 ne peuvent être compris que comme une objection à ce qu'il vient de dire et dont il tient à se débarrasser.

Comment soutenir, en effet, que la mort est survenue à tous les hommes parce que tous ont péché, lorsqu'il est constant qu'avant la venue de la loi (mosaïque) les hommes n'ont pas laissé de mourir? Oui, répond notre auteur, il est vrai que là où il n'y a pas de loi, le péché n'est pas imputé ; oui encore d'Adam à Moïse la mort a régné sur tous les hommes; mais c'est la preuve qu'ils avaient péché réellement, bien que dans une autre forme qu'Adam lui-même. Le péché était présent dans le monde avant la loi de Moïse et y suscitait des transgressions sans nombre, bien que ces transgressions ne

1) Comparez Phil., ш 12; 11 Cor., v, 1.

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