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racontait ces traits et une foule d'autres dont je citerai quelques-uns bientôt, Pachôme croyait fermement que tout cela lui était arrivé, et qu'il avait eu les visions merveilleuses qui remplissent sa vie. Il n'était pas le seul ses moines le croyaient aussi, on le croit même de notre temps. Schnoudi, qui avait un tempérament plus vif et une plus grande connaissance du cœur humain, se servit de cette prédisposition de sa race pour se faire de son vivant toute une légende vraiment fort curieuse à étudier. Mais lui, le plus souvent, il ne croyait pas sans doute ce qu'il racontait; il se contentait de le faire croire. Ses hallucinations étaient dangereuses, voulues ou non voulues; si quelqu'un se présentait à son monastère, un magistrat par exemple qui, sur une plainte des moines, venait remplir son office, et qu'il prît fantaisie au terrible moine de déclarer que c'était Satan en personne avec ses séides, le malheureux magistrat, malgré les insignes de sa charge, était tout à coup jeté à terre et bâtonné d'importance par Schnoudi lui-même; il n'échappait qu'à grand'peine.

L'esprit des chrétiens d'Égypte ne recula jamais devant un prodige quelconque, si mesquin fût-il. Qu'importait en effet que l'on en attribuât à Dieu un de plus ou de moins? Une fois la possibilité du miracle admise, les Coptes ne se demandèrent pas si tel ou tel acte était bien digne de Dieu, si on le pouvait faire agir de telle ou telle manière dans telle ou telle circonstance, sans profaner la pure notion de la divinité et sans commettre le plus horrible sacrilège; ils ne voyaient pas si loin et ne faisaient pas de si profondes réflexions. En Occident, le christianisme a entouré le miracle de certaines conditions sans lesquelles la théologie déclare que le miracle ne peut avoir lieu. Par exemple, Dieu ne fait pas de miracle pour arriver à un but mauvais, pour perpétrer une vengeance ou un crime; le thaumaturge doit être habituellement un homme d'éminente sainteté. En Orient, rien de tout cela n'est requis; les actions les plus ridicules, par conséquent les moins dignes de Dieu, lui sont attribuées sans scrupule ; au

contraire, plus la chose est baroque, petite, mesquine, plus la bonté de Dieu paraît grande; on exige tout de lui parce qu'on le traite sans ce respect plein de tremblement dont nous entourons la divinité.

Cette habitude du merveilleux passa de la vie ordinaire dans la littérature: la vie d'un moine, si célèbre et si vertueux qu'il eût été, n'aurait eu aucune chance de succès si l'on s'était borné à raconter ses actions telles qu'il les avait faites. En partant de ce principe que toutes les actions d'un saint homme doivent être saintes et extraordinaires, on en vient tout naturellement à mettre le merveilleux dans les choses les plus ordinaires de la vie. Ce fut jadis un moyen de faire un poème épique selon toutes les règles de l'art sous ce rapport, les compositions des auteurs coptes ressemblent beaucoup aux poèmes épiques. Le poète, comme Virgile ou Torquato Tasso, ne croyait évidemment pas aux actions qu'il prêtait aux dieux, aux déesses ou aux génies qu'il mettait en scène : les Coptes n'y croyaient pas davantage tout d'abord ; ce n'était que plus tard que l'œuvre de leur imagination leur semblait avoir été réelle. Les générations suivantes n'ont pas hésité un seul instant à tout admettre, et les Occidentaux, grâce aux moines grecs ou latins, ont longtemps vécu des imaginations poétiques et merveilleuses des auteurs coptes. Il n'est cependant pas possible de douter qu'il en ait été ainsi, car assez souvent le même fait est raconté de deux manières différentes, et l'on peut prendre l'auteur en flagrant délit de composition merveilleuse. Ainsi Schnoudi, dans ses œuvres, avoue qu'il ne sait comment, d'un coup de bâton, il a tué un moine; car souvent il a donné des coups de bâton sans que ses moines en aient été assommés. Mais si l'on prend le récit de sa vie, l'on trouve que le moine a été foudroyé par Dieu. De même, Schnoudi, comme je l'ai dit, assomme deux adultères et les fait enterrer; l'auteur de la vie raconte que la terre s'était entr'ouverte pour engloutir les coupables. Je pourrais citer une foule d'autres exemples semblables; ceux-ci suffiront amplement.

Je n'ai parlé jusqu'ici que de l'armée céleste et du merveilleux pour la bonne cause et le bon principe, si je puis m'exprimer ainsi; mais ce n'est pas le seul. Il y a tout le côté démonologique et ce n'est pas le moins extraordinaire. Satan, précipité du ciel par la victoire de l'archange Michel, était censé avoir roulé jusqu'au plus profond des abîmes; mais lorsque nous parlerons des enfers, nous aurons beau chercher, nous ne l'y trouverons pas. C'est que d'après la croyance populaire des Coptes, il n'y était pas. Privé de son pouvoir céleste, chassé du ciel, Satan n'en était pas moins resté de nature spirituelle, je dirais même de nature divine comme l'antique Set; il avait le génie du mal, c'était sa raison d'être et, s'il ne se fût pas occupé à persécuter la race humaine, à lui susciter mille maux, et finalement à la damner, il n'eût pas eu besoin d'être. Quant à le damner lui-même, on n'y songea jamais, parce que jamais on n'avait damné Set. On lui donna un royaume à part, une cour, un palais; mais on ne prit aucunement soin de délimiter ce royaume, d'indiquer où se trouvaient cette cour et ce palais. C'était un père de famille qui gouvernait sa maison, grande maison, immense famille. Sans qu'on lui connaisse d'épouse, il avait des enfants, garçons et filles. Les petits Satans, qu'on me passe cette expression qui se rencontrent à chaque instant dans les œuvres populaires, avaient le plus grand respect pour leur père et tremblaient de frayeur à son aspect. Je ne connais qu'une fille à Satan; peut-être en eut-il plusieurs; mais on ne parle jamais que de la fille de Satan, fort belle personne, richement ornée, ne marchant jamais qu'escortée d'une troupe de ses frères, créée tout exprès pour tenter la vertu des moines. Elle ne paraît jamais que dans les grandes occasions : dans le cours ordinaire de la vie, ses frères suffisent. D'ailleurs les Satans, d'après un nombre considérable de passages qui ne peuvent s'expliquer autrement, étaient hermaphrodites, ils pouvaient à volonté prendre l'un ou l'autre sexe : l'on ne voyait aucune difficulté à ce changement. Les incubes et les succubes étaient déjà fort connus, et rien n'est plus commun que de

par

voir les démons frapper à la porte des moines orgueilleux, sous la forme de femmes, toujours belles et toujours passionnées, qui se présentent comme poursuivies pour dettes, ne sachant où aller passer la nuit, craignant d'être dévorées les bêtes féroces si le moine ne leur ouvre sa cellule hospitalière. Naturellement, le moine cédait, pour n'avoir pas ce reproche sur la conscience; mais à peine entrée, la prétendue femme lançait « les flèches du désir » dans le cœur du moine, les mains se rencontraient, les lèvres s'unissaient et quand le moment suprême approchait, soudain le moine se sentait renversé à terre et roué de coups. Il se repentait alors et il reconnaissait l'ennemi; mais il était trop tard : l'ennemi ricanait et disparaissait pour aller raconter sa victoire à son père. C'étaient là les bons tours que les diables jouaient aux pauvres moines.

Cependant on se tromperait fort si l'on faisait de Satan et de ses enfants des êtres méchants, cruels et rusés. Ils étaient au contraire de bons vivants, toujours joyeux, gais, rieurs, s'amusant à des riens. Sans doute ils faisaient la guerre aux moines; c'était leur métier et dans les deux camps on se détestait de tout cœur; mais chez les Satans la haine était gaie et comique. Ils n'épargnaient ni les plaisanteries, ni les gambades, ni les rires, ni les chants; leurs ruses étaient simples, souvent niaises, et bien souvent les malheureux étaient pris dans leurs propres filets. On les traitait alors sans miséricorde on les pendait, on les enchaînait, on les torturait; pour eux, ils poussaient de grands cris, avouaient leurs fautes, se faisaient humbles et finissaient toujours par obtenir leur grâce. L'un d'eux avait réussi un jour à faire mettre un martyr de la Haute-Égypte dans une sorte de cangue. Pour mieux jouir de son triomphe, il alla visiter le martyr dans la prison, mais il fut bientôt reconnu et, grâce à sa sottise, il remplaça bientôt le martyr dans l'instrument de supplice. Quand Pachôme marchait dans le désert, les diables accouraient en foule, se rangeaient sur deux lignes en avant de l'ascète, lui faisaient de grandes salutations, se bouscu

laient les uns les autres, affectaient un empressement extraordinaire, gambadaient et s'écriaient : « Place à Pachôme, place à l'homme de Dieu! » Ils voulaient lui inspirer de l'orgueil, mais ils ne réussissaient pas. D'autres fois, ils s'attachaient par milliers à une corde énorme pour traîner une feuille ou une toute petite pierre; ils semblaient faire des efforts surhumains, peinaient, suaient, soufflaient, cherchant à faire rire le saint homme et perdant leurs peines. On ne peut nier qu'ils ne fussent de joyeux tentateurs. Il faut leur accorder aussi que pour des esprits ils n'étaient guère spirituels, et que pour des êtres qui passaient leur existence à circonvenir les malheureux humains par toutes sortes de ruses, ils n'étaient guère rusés. Ils ne savaient à proprement parler que faire des niches. Je ne dois pas oublier que les malheureux recevant tout leur esprit de l'imagination des Coptes, leurs plus grands ennemis, ils ne pouvaient se prévaloir de trop d'esprit et de trop de science. Les ruses qu'on leur prêta sont éminemment coptes : c'est tout dire.

Quand ils avaient fait quelque action d'éclat, ils n'avaient, comme je l'ai dit, rien de plus pressé que de retourner près de leur père rendre compte de l'emploi de leur temps. Il semble même qu'ils ne devaient pas passer trop longtemps sans venir prendre de nouveaux ordres; ils étaient punis ou récompensés selon leurs mérites. Il y a à ce sujet dans la littérature populaire une anecdote très curieuse. Satan tenait un jour cour plénière: il était assis sur un trône éclatant et chaque diablotin venait lui rendre compte de ses actions. L'un arriva tout joyeux : il avait couru le monde, traversé les mers, voyagé dans les airs sans discontinuer; finalement il s'était abaissé sur la mer Rouge et ayant vu toute une flotte voguer paisiblement, il avait appelé à son aide tous les vents, avait suscité un épouvantable tourbillon et englouti toute la flotte. Il était fier de son coup et n'avait passé que quatorze ou quinze jours pour perpétrer ce chef-d'œuvre. Il s'attendait à des remerciements et à des éloges. Grande fut sa surprise lorsque Satan s'écria: «Eh quoi! si peu d'ouvrage en tout

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