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CONCLUSION

(Θεραπευτῶν μὲν — εὐδαιμονίας. - Ρ. 486, § 11.)

Voilà ce qu'il y avait à dire sur les citoyens du monde qui vivent par l'âme et sont amis de Dieu.

Le dogme stoïcien du sage citoyen du monde est aussi un des dogmes principaux de la théosophie de Philon. L'expression • vivre par l'âme se retrouve dans l'Abraham, § 41; les Dix commandements, § 13; Moïse, I, § 6, et probablement encore ailleurs. Le meilleur commentaire en est donné par le traité des Récompenses et peines, § 4. Quant au titre d' amis de Dieu » (que prendront aussi les mystiques du moyen âge, voir les amis de Dieu au quatorzième siècle, par M. A. Jundt), ce titre, dans Philon, d'après un passage de la Genèse, revient par excellence à Abraham. Celui-ci s'étant élevé de la contemplation du monde visible à celle de l'invisible, est par cela mème le père des thérapeutes, en même temps que, pour avoir passé le premier de l'erreur à la vérité (Récompenses et peines, § 4), pour avoir quitté, avec la religion de ses pères, sa patrie, sa famille, ses amis, il est le vrai patron des prosélytes.

Le traité de la Vie contemplative s'explique donc à peu près d'un bout à l'autre par les œuvres de Philon, surtout par l'Explication de la loi, mais en partie aussi par le Commentaire allégorique. Dans ce dernier ouvrage, Philon, plus mûr, est moins convaincu de la vertu purifiante de la solitude, et il a tout à fait pris son parti de vivre dans la société des hommes. Ce n'est pas qu'il condamne la vie contemplative en elle-même, bien au contraire. Il veut seulement qu'on ne s'y adonne qu'après avoir passé par la vie pratique et rempli ses devoirs sociaux, lorsqu'on est arrivé à la cinquantaine (les Fugitifs, § 6). Au point de vue littéraire, la ressemblance de notre traité avec les œuvres de Philon est encore plus frappante que pour les idées. A propos d'un ouvrage où tout se tient, où tout se répond, on a accusé l'auteur du plus grand désordre, quand il n'avait eu que le tort de faire son métier d'écrivain trop uniment, et

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Quant au reproche de déclamation, de pathos, sans chercher s'il n'aurait pas quelque peu la même origine, surtout sans vouloir discuter des goûts, je me contenterai de rappeler qu'il y a au moins autant de chaleur et de surabondance dans les autres œuvres de Philon. Enfin, la quantité de termes, de tournures, de figures identiques, tout jusqu'aux jeux de mots (dont j'aurais pu citer des exemples) oblige à reconnaître dans notre traité, soit Philon, soit un disciple complètement pénétré de ses œuvres et de sa manière, un autre lui-même (car il n'y a pas ici trace de procédé littéraire, comme dans le cas de Minucius Felix vis-à-vis de Tertullien). La supposition elle-même d'un disciple, fidèle image du maitre, d'une sorte de double, s'évanouit quand on voit le traité de la Vie Contemplative se rattacher à un des ouvrages de Philon, l'Apologie des Juifs, et y faire suite de la manière la plus naturelle, on peut même ajouter en faire partie, car, à ce point de vue, tout y devient clair, et le morcellement connu des ouvrages de Philon en plusieurs traités favorise encore cette conclusion. Quant à la période pendant laquelle cette œuvre fut composée, le nombre et la nature des rapports, que le lecteur aura certainement remarqués entre la Vie Contemplative et le traité des Récompenses et des Peines, invitent à les placer dans un même temps. Cette impression se fortifie si l'on observe qu'ils paraissent avoir été écrits l'un et l'autre avec une irritation particulière contre les païens. L'étude qu'on vient de lire fournirait encore du côté du commentaire allégorique des indications utiles pour la solution du problème chronologique, mais il déborde notre sujet et trouvera naturellement sa place dans un essai sur la chronologie des œuvres et de la vie de Philon, que j'espère pouvoir faire paraître avant trop longtemps.

Passons à l'existence même des thérapeutes. Si je ne me trompe, elle devient moins invraisemblable quand on s'en tient aux données réelles du texte, et qu'on se replace dans le milieu antique en faisant à l'occasion la part de la tendance des apologètes à tout présenter en beau. Pour nous en tenir aux thérapeutes du lac Maria, les plus étonnants, il n'est pas incroyable que sous les Ptolémées, dans l'effervescence bien attestée du zèle missionnaire des judéo - hellénistes d'Alexandrie, certains juifs et prosélytes d'esprit très cultivé, mal à l'aise dans les deux milieux exclusifs, se soient retirés près de la ville et de ses ressources scientifiques pour philosopher tranquillement, en formant une sorte de collège qui

aurait duré jusqu'au temps de Philon, mais n'aurait peut-être pas longtemps résisté à l'établissement du christianisme en Égypte. Sous beaucoup de rapports, l'institut pythagoricien et la communauté essénienne sont plus bizarres.

Mais, nous dit-on, comment les thérapeutes n'ont-ils été signalés que par un seul écrivain? Nous serions bien heureux d'avoir, pour telle période de l'histoire des Israélites un témoin unique. Combien de faits, et dont nous ne doutons pas, sont attestés dans l'histoire par un seul témoin! Puis, qui aurait dû nous parler des thérapeutes? Pour les païens écrivant hors d'Égypte, les singularités d'une toute petite communauté juive ou d'un collège juif, suivant le point de vue, se perdaient au milieu des bizarreries de toute sorte qu'on reprochait à la masse juive, d'ailleurs si mal connue. Quant aux Grecs d'Alexandrie qui ont polémisé contre les Juifs, leur œuvre a péri. Dans les écrits des Grecs ou des Latins qui nous restent, il n'est jamais question de Philon lui-même, qui a existé cependant et même qui a joué à un certain moment un rôle historique. Pour les écrivains juifs on ne peut opposer que le silence de Josèphe. Mais Josèphe nous fait très peu connaître le judaïsme alexandrin. Par exemple, il ne dit littéralement qu'un mot des troubles d'Alexandrie qui motivèrent l'envoi des ambassades juive et païenne à Caligula, et qui ont fourni à Philon la matière de plusieurs traités. Josèphe ne nomme pas Flaccus, il ne fait aucune allusion à la conduite, à l'existence de ce gouverneur, que Philon seul a fait connaître et qu'il a immortalisé. Il ne caractérise qu'en passant Philon lui-même, comme président de l'ambassade juive, seulement à cette occasion, sans dire un mot de ses œuvres, sans laisser soupçonner qu'il ait écrit. Reste comme ayant pu chez les Juifs nous parler des thérapeutes, le seul écrivain alexandrin d'entre eux dont l'œuvre nous soit arrivée. Nous avons exposé son témoignage. Quant aux chrétiens il ne nous est même rien parvenu d'eux sur les commencements de l'Église d'Alexandrie, et sur les rapports qu'ils ont pu avoir dans cette première époque avec le judaïsme alexandrin, jusqu'à Eusèbe qui a embrouillé le premier (et pour longtemps) la question des thérapeutes en les présentant sur le prétendu témoignage de la Vie Contemplative elle-même, comme des chrétiens. Son erreur n'a plus aujourd'hui besoin d'être réfutée; je puis me dispenser de chercher ici pourquoi il l'a commise.

Ainsi le silence d'autres témoins que Philon est plus regrettable que suspect, surtout si l'on compte l'œuvre destructrice des temps pour une des causes de ce silence 1.

Quant aux conséquences à tirer de l'existence des thérapeutes, je n'ai pas à les examiner maintenant. Pour être le moins long possible, j'ai dû aussi m'interdire dans le cours de ce travail les considérations psychologiques ou morales et les rapprochements, même les plus importants, avec le christianisme. Le lecteur aura eu le plaisir de les faire lui-même. On les retrouvera d'ailleurs dans une étude générale sur Philon qui suivra, je l'espère, l'essai sur la chronologie de ses œuvres et de sa vie. J'ai à peine besoin d'ajouter en terminant, que si dans le présent travail j'ai critiqué l'œuvre d'autrui, je suis loin de prétendre avoir évité moi-même toute erreur et que j'accepterai avec reconnaissance toute critique qui, en détruisant telle ou telle de mes assertions, permettra de serrer de plus près la vérité.

L. MASSEBIEAU.

1) M. Lucius ne peut assez s'étonner que les thérapeutes aient été si peu connus dans l'antiquité. Il croit que s'ils avaient existé, les touristes n'auraient pas manqué de les visiter, sans doute comme on visite la grande Chartreuse, et de nous les signaler. La secte protestante des Hinschistes, avec sa maison commune, avec ses adhérents du dehors qui versent, si je ne me trompe, leurs salaires à cette maison; avec la dame élue qui en est la directrice; avec ses œuvres de bienfaisance et les rapports annuels qui les décrivent, demeure, j'en suis persuadé, profondément inconnue, je ne dis pas à M. Lucius qui est théologien, mais aux touristes qui mettent Nimes sur leur itinéraire pour aller visiter la Maison-Carrée, etc. Pour être connu il ne suffit pas d'être singulier.

LES DÉCOUVERTES EN ITALIE

BULLETIN DE 1886.

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Les découvertes enregistrées chaque année par les Écoles archéologiques d'Athènes se produisent sur les points les plus divers de l'ancien monde hellénique; elles sont à peu près partout d'égale importance. Les fouilles de Délos, d'Éleusis, d'Épidaure ou du Mont Ptoon n'ont pas amené des résultats moins brillants que celles qui se poursuivent aux abords du Parthénon. Il y a quelques années, M. Schliemann, en explorant les ruines de Troie, de Mycènes et de Tirynthe, a livré à la science des trésors qui, pour les savants, sinon pour les artistes, soutiennent aisément la comparaison avec ceux qu'on a tirés, à différentes époques, du sol d'Athènes. Il n'en va pas tout à fait de même en Italie. En parcourant les revues de 1886, pour y chercher le compte rendu des dernières découvertes survenues dans la péninsule, on s'aperçoit qu'en dehors de Rome elles ne présentent pour l'histoire des religions qu'un intérêt médiocre. Cette différence entre les deux pays où s'est développée la civilisation dont nous sommes les héritiers, tient d'abord à des raisons d'ordre historique. En Grèce, par suite de la configuration du territoire, il y a eu partout, et de très bonne heure, un grand nombre de petites républiques, dont chacune vivait de sa vie propre, et avec honneur; elle avait ses légendes et ses dieux, que des artistes, nés chez elle, représentaient sous des formes exquises, animées par le souffle du génie. Elle avait souvent des oracles et des fêtes, qui attiraient les pèlerins des contrées les plus éloignées, et auxquels des rois envoyaient leurs hommages; elle avait enfin des archives sacrées, tenues avec un soin rigoureux, comme le sont d'ordinaire celles d'un

1) V. la Revue de l'Histoire des Religions, t. XV, (1887), p. 189 et XVI, p. 66.

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