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le principe féminin de la nature, on en adorait en lui le principe mâle; comme Dolichenus et comme Mithra, il était identifié avec le Soleil; les cavaliers qui lui rendent un hommage en commun ont tous été appelés des garnisons de la Mésie inférieure, province qui correspond à la Bulgarie actuelle ; ce n'est point là qu'était né le culte de Sabadius, ni là qu'il était le plus florissant; mais il y avait été introduit sans doute par la côte de la mer Noire, et en particulier par la ville de Tomes, qui entretenait avec l'Asie d'étroites relations de commerce; c'est là que mourut Ovide exilé. Toutes ces divinités orientales nous étaient déjà connues, et même par des inscriptions trouvées à Rome, avant les fouilles de 1885-86. Voici un nouveau venu. Il s'appelle Jupiter Beellefarus. M. Marucchi a eu le mérite de lui rendre le premier son état civil, et il l'a fait avec beaucoup de savoir et de sagacité. Le nom de Beellefarus est manifestement un dérivé de celui de Baal, la grande divinité phénicienne, comme Balmarchodes, Beelmar, Aglibolus et Malachbelus, que nous font connaître divers documents d'époque romaine; Baal lui-même, sous le nom de Bel ou Belus, avait un temple à Rome, sur la via Portuensis, près des Jardins de César; on en a retrouvé les restes il y a une trentaine d'années. Mais parmi les nombreux Baals adorés des populations sémitiques, quel est exactement celui qu'on appelait Beellefarus? M. Marucchi pense que ce doit être Beelphegor, c'està-dire le Baal du mont Phegor, qui est mentionné par la Bible et par les Pères de l'Eglise comme la divinité suprême des Moabites, peuple établi à l'orient de la mer Morte, avec lequel les Israélites eurent de nombreuses relations; ce Baal est identique à Chamos, dont parle la stèle de Mésa, roi de Moab, aujourd'hui conservée au musée du Louvre. Le nom a pu s'écrire en hébreu Baalphehor, d'où on passe aisément à Beelfar et Beellefarus. Mais ici nous empiétons sur le domaine des orientalistes. On peut se demander encore comment ce culte, dont l'existence nous est attestée par un document du IXe siècle avant notre ère, a survécu au milieu de toutes les transformations du monde ancien, et comment, un millier d'années plus tard, nous le retrouvons dans la ville de Rome. Les soldats qui ont élevé le monument n'y ont pas fait graver leurs noms; ils nous ont ainsi privés du moyen de déterminer leur patrie. Mais il est probable qu'ils venaient de l'Arabie septentrionale, province organisée en 106, sous Trajan, et qui comprenait l'ancien territoire des Moabites. La cavalerie de la garde se recrutait surtout dans les cohortes du

Rhin et du Danube; cependant on y admettait aussi des Syriens; il n'y a pas de raison pour qu'on en écartât les Arabes. Les dédicants de notre inscription se donnent le titre de frères, fratres; le mot est évidemment pris ici dans une acception mystique, comme il l'a été par les chrétiens. C'est, dit M. Marucchi, une nouveauté dans les associations païennes; c'est en tout cas une nouveauté qui n'a pas lieu de surprendre beaucoup, puisque, parmi les initiés aux religions orientales, les titres de pater et mater sacrorum ont été fréquemment employés sous l'Empire. Il n'en est pas moins curieux de voir se former, au milieu de tous ces cavaliers d'origines si diverses, des groupes dans lesquels la religion est le lien et la raison d'être.

Mithra manque à cette énumération. Mais prenons patience, il n'est pas loin d'ici. Quittons la caserne des Singulares et transportons-nous sur le Quirinal, à l'angle de la via Firenze et de la via Venti settembre. Là s'élevait, il n'y a pas encore bien longtemps, la petite église de Saint-Caïus. En démolissant des constructions voisines, pour jeter les fondations du nouveau ministère de la guerre, on a mis au jour les restes d'une maison qui appartenait, sous le Bas-Empire, à la famille des Nummius; un de ses membres, M. Nummius Albinus, fut consul vers le temps de Constantin. Cette demeure aristocratique donnait sur la rue appelée Alta semita, dont le tracé correspondait presque exactement à celui de la via Venti settembre. De l'édifice lui-même on n'a retrouvé que quelques fragments de sculpture insignifiants et des ruines en si mauvais état qu'il n'a pas été possible d'en saisir le plan. Mais lorsque les décombres qui couvraient la surface ont été enlevés, on a rencontré, à une certaine profondeur sous le sol, un petit groupe de constructions voûtées, que l'on avait utilisées comme caves, au moyen-âge, et qui ont dû à cette circonstance d'être épargnées par la main des hommes. La disposition en est tout à fait singulière. Qu'on s'imagine un réduit de forme rectangulaire, mesurant à peine 2,50 de haut, coupé en cinq petites chambres, qui communiquent les unes avec les autres et qu'aucune fenêtre n'éclaire. Sur trois des côtés règne un cryptoportique, qui ne recevait du jour que par des soupiraux ménagés dans la voûte. Le quatrième côté est bordé d'un corridor beaucoup plus large, qui devait donner sur l'Alta semita et laisser pénétrer abondamment la lumière du jour. On aurait peut-être cherché longtemps la destination de cette cave, si on n'avait découvert sur un mur, en grattant le crépi, une peinture représentant la

scène symbolique du culte mithriaque, l'égorgement du taureau. Dès lors, tout s'expliquait: on était en présence d'une chapelle souterraine de Mithra, qui avait autrefois fait partie de la maison des Nummius: les fidèles venant de la rue, descendaient dans le corridor par un escalier; de là, ils passaient dans le cryptoportique, où ils étaient déjà enveloppés d'une demi-obscurité; enfin ils pénétraient dans la chapelle, dont les mystérieuses ténèbres n'étaient dissipées que par des lampes. Les parois intérieures du sanctuaire étaient revêtues d'un enduit de plâtre, sur lequel on avait imité au pinceau des rocailles de tuf, de façon que les fidèles pussent se croire dans un antre naturel; on avait déjà à Rome un exemple de ces spelæa, dans la chapelle mithriaque qui a été découverte sous l'église de Saint-Clément. Le mobilier a entièrement disparu, sauf une grande jarre dont il est difficile de préciser l'usage; dans un coin du cryptoportique, est creusé un puits, qui a peut-être servi aux tauroboles. Quant à la peinture symbolique du sanctuaire, elle n'offre aucun détail qui ne soit depuis longtemps connu des archéologues; elle a cependant le mérite d'être dans son genre la seule que l'on ait encore découverte; les représentations figurées de la même scène, que possédaient jusqu'ici les musées, étaient des bas-reliefs. Mithra est seint en rouge des pieds à la tête, y compris le vêtement; sa tête semble entourée d'un nimbe; les lampadophores qui se tiennent à ses côtés portent une tunique, un bonnet et des chaussures jaunes; leurs manteaux sont rouges : l'un a des braies vertes, l'autre les a brunes. Le taureau est gris, ainsi que le chien ; le scorpion est jaune. Il est à peine douteux que chacune de ces couleurs avait un sens symbolique pour les initiés. Ainsi les braies vertes du lampadophore qui, dans le mystère mithriaque figurait le printemps, rappelaient la végétation renaissante; celles de son compagnon rappelaient par leur couleur brune les feuilles qui se dessèchent quand vient l'automne. Les Nummius connaissaient ces secrets; peut-être même ont-ils exercé quelques fonctions dans le sacerdoce de Mithra. De l'autre côté de la rue habitait la famille des Ceionius, avec laquelle ils avaient des liens de parenté; elle a donné plusieurs magistrats à Rome dans le cours du me siècle. En 1884, on a exhumé non loin de là une inscription mentionnant un certain Alfenius Ceionius Julianus Kamenius,prêtre du grand et invincible Mithra,hierophante d'Hécate, grand-prêtre de Bacchus, quindecemvir sacris faciundis, purifié par le taurobole de la Mère des Dieux, etc., etc. Cet Alfenius

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a probablement officié dans la chapelle souterraine des Nummius, ses parents et ses voisins.

Les livres, comme on dit, ont leurs destinées. Celle des ouvrages d'archéologie est facile à connaître d'avance: c'est d'être arriérés dès le lendemain du jour où ils ont paru. Les auteurs qui publient des études d'ensemble sur l'antiquité classique, telles que des Topographies de villes, des Histoires de l'art, de la religion, des sciences, des institutions civiles ou militaires, sont souvent, comme M. Jordan, enlevés par la mort avant d'avoir achevé leur œuvre. Ceux qui, plus heureux, peuvent atteindre au but, sont toujours exposés à voir leurs vastes synthèses subitement dépréciées; des découvertes imprévues en ébranlent certaines parties et font paraître dans d'autres des lacunes qu'on ne soupçonnait pas; en très peu de temps l'œuvre a besoin d'être rectifiée et complétée. Cet inconvénient, qui fait en général la difficulté de tous les travaux historiques, frappe davantage dans l'étude de l'antiquité, parce que cette période est, entre toutes, celle où les témoignages, sur lesquels nous pouvons asseoir des jugements solides, sont le plus douteux et le plus rares, de telle sorte que nos opinions risquent plus qu'ailleurs d'être démenties par des faits inopinément constatés. L'excellent ouvrage publié par Preller en 1858 sur la Mythologie romaine a fait époque dans la science; en 1881 il n'était plus au courant et M. Jordan a dû y ajouter de sa main, dans la nouvelle édition qu'il en a donnée, un commentaire très fourni. M. Jordan est mort à son tour et la Mythologie de Preller réclame déjà de nouveaux compléments. On a pu voir dans les pages qui précèdent ce qu'une seule année ajoute à nos connaissances. Je n'ai cependant recueilli que la fleur du butin et je ne gagerais pas que les savants qui s'intéressent à ces études ne trouveraient pas encore à prendre dans ce que j'ai laissé. Une science nouvelle vient de naître, qui peut apporter un très utile secours à l'histoire de la religion romaine : c'est celle des traditions populaires. Elle nous fournira certainement un jour des rapprochements curieux entre la religion des Grecs et des Romains et les autres formes du paganisme; elle nous donnera ainsi la clef de bien des croyances qui nous paraissaient inexplicables. Il conviendra alors de lui faire une place dans une histoire générale de la religion romaine; mais l'heure n'est pas encore venue et il serait téméraire de l'avancer.

Georges LAFAYE.

REVUE DES LIVRES

Histoire du peuple d'Israël, par Ernest Renan, membre de l'Institut, professeur au Collège de France. Tome Ier. - 1 vol. gr. in-8 de xxix et 451 p. Paris, Calmann Lévy, 1887.

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La publication, depuis longtemps espérée, du premier volume de l'Histoire du peuple d'Israel, par M. Renan, est, dans le domaine de nos études d'histoire religieuse, l'événement littéraire le plus important de l'année 1887. La haute autorité attachée à ses œuvres historiques, la popularité exceptionnelle que sa plume enchanteresse vaut à un ordre de recherches généralement confiné dans une société scientifique très restreinte, assurent aux travaux de M. Renan une place hors cadre dans l'ensemble des publications relatives à l'histoire religieuse. Et pourquoi ne pas ajouter que, cette fois, la sensation produite par chacun de ses livres s'est doublée du plaisir de le voir revenir à ces études d'histoire et de philologie qui sont ses véritables titres de gloire, et dont quelques-uns craignaient qu'il ne se fût détourné pour sacrifier aux dii minores de la littérature légère?

Tout le monde sait que M. Renan, au lieu de commencer son œuvre monumentale, l'Histoire des origines du christianisme, par le tableau de la religion d'Israël, ce qui eût été prendre le sujet à ses origines premières, a étudié d'abord le fondateur de la religion chrétienne et tracé l'histoire de l'église primitive, avec l'intention de nous donner plus tard une histoire d'Israël, sans laquelle toute histoire des origines du christianisme sera toujours incomplète. Pour n'être pas conforme à l'ordre logique et chronologique, cette méthode n'en était pas moins excellente. La vie de Jésus est un sujet qui captive et passionne un public autrement nombreux que les habitués ordinaires des lectures historiques; l'éclatante lumière que l'auteur a su répandre sur le centre même de la grande histoire qu'il se proposait de dérouler sous nos yeux a rayonné sur le récit entier, et actuellement encore l'Histoire du peuple d'Israël bénéficie du fait qu'elle se présente au lecteur comme l'introduction indispensable à la Vie de Jésus.

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