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glante, et laisse-moi voir le coup avant qu'il ne vienne, afin qu'à l'instant même où je perdrai la vie, mon âme puisse être plus fermement occupée de mon Dieu.

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Light. Que veut donc Votre Altesse, pour se défier ainsi de moi ?

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Ed. Que veux-tu donc, toi, pour dissimuler ainsi avec moi ?

Light.- Ces mains ne furent jamais tachées du sang innocent; elles ne seront pas aujourd'hui teintes de celui d'un roi.

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Ed. Pardonne-moi d'avoir eu cette pensée. Il m'est resté un diamant, reçois-le. Pardonne-moi cette pensée. Je crains encore, et je ne sais quelle en est la cause; mais chacune de mes jointures tremble, pendant que je te donne cela. Oh! si tu renfermes le meurtre dans ton cœur 2 puisse ce présent changer ton dessein et sauver ton âme ! Sache que je suis un roi. Oh! à ce nom, je sens un enfer de douleurs. Où est ma couronne?... perdue, perdue! Et moi, je vis encore...

Light.

reposez.

Éd.

- Vous êtes épié, milord. Couchez-vous, et

Mais la douleur me tient éveillé. Je devrais dormir; car, depuis ces dix jours, mes paupières ne se sont pas fermées. Maintenant, tandis que je parle, elles tombent de fatigue; et cependant la crainte me les fait rouvrir. Oh! pourquoi es-tu assis là ?

Light. Si vous vous méfiez de moi, je m'en irai, seigneur.

Éd.

Non, non! car si tu as le dessein de me tuer,

tu reviendras. Ainsi donc, reste.

Light. Il dort!....

Ed.-Oh! ne me fais pas mourir. Reste cependant; oh! reste quelque temps.

Light. Comment, milord?

Éd.

Quelque chose bourdonne à mes oreilles, et me dit que, si je m'endors, je ne m'éveillerai jamais. Voilà l'idée qui me fait trembler ainsi; mais, dis-moi donc, pourquoi es-tu venu?

Light. Pour te débarrasser de la vie! lci, Matrevis, ici. Éd. Je suis trop malade et trop faible pour résister. Assiste-moi, mon Dieu, et reçois mon âme!...

Un homme qui pouvait écrire et sentir ainsi la tragédie existait déjà, quand Shakspeare vint à Londres. Et ce qu'on doit remarquer encore, cet homme avait popularisé la forme poétique qui convenait le mieux à la tragédie anglaise, le vers non rimé, mais soutenu par le rhythme et l'expression. Marlowe, dans ses derniers ouvrages, avait fait de ce vers l'emploi le plus heureux pour l'effet de la scène et la vérité du dialogue.

C'est au milieu de ces premiers trésors de la littérature nationale, que Shakspeare, animé d'un merveilleux génie, forma promptement ses expressions et son langage. Ce fut le premier mérite qu'on vit éclater en lui, le caractère qui frappa d'abord ses contemporains; on le voit par le surnom de poëte à la langue de miel (1), qui lui fut donné, et que

(1) Mellifluous and honey-tongued Shakspeare.

(Meres.)

l'on retrouve dans toutes les littératures naissantes, comme l'hommage naturel décerné à ceux qui les premiers font sentir plus vivement le charme de la parole, l'harmonie du langage.

Ce génie de l'expression, qui fait aujourd'hui le grand caractère et la vie durable de Shakspeare, fut, on ne peut en douter, ce qui saisit d'abord son siècle. Comme notre Corneille, il créa l'éloquence des vers, et fut puissant par elle.

N'ayant d'autre éducation que l'exemple de ses contemporains, et l'esprit poétique déjà familier parmi eux, il paraît que Shakspeare ne se livra pas d'abord, ou du moins ne se livra pas uniquement à des essais dramatiques. Dès 1689, on voit son nom figurer (1) parmi ceux des comédiens de Black-Friars, dans une supplique où leur compagnie représente au chancelier qu'elle n'a jamais donné sujet de plainte, en portant sur la scène des matières d'État et de religion. Chargé de modestes rôles, Shakspeare dut s'employer de bonne heure à corriger, à remanier ces pièces souvent anonymes, qui étaient alors la propriété d'une troupe de comédiens, et dont elle disposait à son gré. On peut croire même que son instinct de génie se montra dans ce travail, et qu'il excita bientôt la jalousie de ses camarades, puisque, dès 1592, antérieurement à la date certaine d'aucune de ses pièces originales, il est accusé, dans un écrit du temps, d'être un parvenu plein de suffisance, une corneille parée des plumes d'autrui, et de se croire le

(1) New Facts regarding the life of Shakspeare, etc., from J. Payne Collier. London, 1836.

seul ébranle-scène du pays. Ces paroles satiriques de Robert Greene, qui mourut la même année, font supposer que Shakspeare, comme acteur et comme poëte, avait déjà réussi. Shakspeare, fort blessé de cette attaque, se plaignit amèrement d'un poëte nommé Chetle, qui s'était fait l'éditeur du pamphlet posthume de Greene; et il en obtint des excuses, qui sont assez remarquables. « J'ai apprécié moi-même, dit Chetle, ses manières, non moins civiles que son talent est supérieur; et des personnes considérables m'ont parlé de la droiture de ses procédés, qui atteste son honnêteté, et de sa grâce facile qui prouve son art. » Shakspeare toutefois, en publiant, l'année suivante, un poëme de Vénus et Adonis, appelle cet ouvrage le premier-né de son imagination, soit qu'il attachât peu de prix à sa part de travail dans des drames anonymes, soit plutôt qu'avant ce travail, et pour s'y préparer, il eût composé depuis quelques années le poëme, dont il offrait alors la dédicace à lord Southampton, l'un des plus aimables seigneurs de la cour galante d'Élisabeth.

L'année suivante, Shakspeare dédiait encore à ce seigneur son poëme de Lucrèce, aussi sévère que l'autre est libre, mais empreint également d'élégance et d'affectation italienne. Un recueil de quelques sonnets mythologiques, et d'autres vers d'amour publiés sous le titre du Pèlerin passionné, semblent compléter ces premières études poétiques de Shakspeare, qui furent entremêlées sans doute à la composition de ses plus anciennes pièces : Periclès, la Peine d'Amour perdue, les trois parties de Henri VI, et les deux Gentilshommes de Vérone.

On remarque, en effet, un rapport, une affinité entre ces premiers drames et les poëmes de Shakspeare, pour l'emploi fréquent de la rime, et pour certaines formes de style. Le poëme d'Adonis respire cette afféterie voluptueuse, ces grâces maniérées qui, dans Roméo et Juliette, se mêlent encore à une passion ravissante. On y sent l'inspiration de Fairfax et de Spenser, et un effort souvent habile, pour transporter, dans une langue du Nord, quelque chose de la douceur et du charme de la langue italienne. Le poëme du Ravissement de Lucrèce, sans être moins mêlé de faux goût, marque un progrès de force et de gravité dans le langage; et il est à remarquer que ces deux ouvrages furent les premiers titres de la gloire naissante de Shakspeare. A cette époque, et longtemps après, Shakspeare, dans la liberté d'une vie obscure, livré sans doute aux goûts de son âge et de sa profession, répandit souvent les sentiments de son coeur dans des Sonnets recueillis plus tard, mais qui dès lors étaient fort lus et fort admirés des sociétés du temps. Il essayait cette forme poétique sur l'heureux modèle que lord Surrey avait emprunté naguère à l'Italie.

Il faut lire ces sonnets, pour juger l'art savant de langage que Shakspeare mêlait à sa rudesse. Le plus grand nombre est adressé à lord Southampton. Ce jeune seigneur, à peine âgé de vingt-trois ans, et célèbre par ses grâces chevaleresques, comme plus tard il le fut par son courage et sa fidélité à l'infortuné comte d'Essex, était alors exposé à la tendresse jalouse ou au caprice impérieux d'Élisabeth, qui lui interdisait la main de miss Varnon,

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