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belle et noble Anglaise dont il était aimé. Il semble que Shakspeare, protégé par lord Southampton, n'était pas seulement pour lui un chantre reconnaissant, un admirateur idolâtre, mais qu'avec ce la ngage de tendresse mystique alors autorisée, il entra dans les secrets du coeur de son jeune patron, en le pressant de se marier au nom de la gloire de sa maison (1), et par les douces images de la famille et de la paternité. Southampton suivit ce conseil que lui donnait son amour. Il épousa miss Varnon, au prix de quelques mois de prison qu'Élisabeth irritée fit subir aux deux amants. Nulle allusion à cette disgrâce dans les vers de Shakspeare; mais il continua ses sonnets au jeune lord, sur un ton de tendresse humble et passionnée, quelquefois si étrange, qu'on a cru y reconnaître l'expression d'un amour mystérieux pour Élisabeth, cachée sous le nom de Southampton. Cette supposition de commentateur que tant de choses démentent, et qui s'accorde si mal avec la prison du jeune lord à cette époque, n'est nullement nécessaire pour expliquer l'exagération sentimentale du poëte : c'était une imitation de Pétrarque, une élégance platonique empruntée à l'Italie, un langage convenu, auquel seulement Shakspeare a mêlé parfois des traits de sensibilité profonde et des retours mélancoliques sur lui-même. On voit que la plupart de ces sonnets se rapportent aux

(1)

Who lets so fair a house fall to decay,
Which husbandry in honor might uphold,
Against the stormy gusts of Winter's day,
And barren rage of death's Eternal cold?

You had a father: let your son say so.

(Sonnet xn.)

premiers temps de sa carrière, lorsqu'il luttait contre le malheur et l'humiliation de son état. C'est ainsi que s'adressant à Southampton, il lui dit en vers élégants :

<< Comme un père décrépit (1) prend plaisir à voir son > enfant agile faire des actions de jeune homme, ainsi » moi, rendu boiteux par l'opiniâtre rancune du sort, » je tire ma consolation de ton mérite et de ta constance. » Beauté, naissance, richesse, esprit, que chacune de » ces choses, ou que toutes ensemble, et plus encore, » forment ton attribut et soient couronnées en toi! j'at» tache et je greffe mon amour sur ce trésor; et alors je » ne suis plus estropié, pauvre, ni méprisé. L'illusion » me donne une telle réalité, que dans ta richesse je > trouve ce qui me suffit, et que d'une part de ta gloire » je vis. >>

Un mot pris à la lettre, dans ces vers, a fait croire que le poëte était boiteux, et se plaignait d'une infirmité naturelle ajoutée pour lui aux maux de la fortune et de l'opinion. Mais un autre passage peu remarqué de ces

(1)

As a decrepit father takes delight

To see his active child do deeds of youth,
So I, made lame by fortune's dearest spite,
Take all my comfort of thy worth and truth;
For whether beauty, birth, or wealth, or wit,
Or any of these all, or all, or more,
Entitled in thy parts do crowned sit,

I make my love engrafted to this store:

So then I am not lame, poor, nor despis'd,

Whilst that this shadow doth such substance give,

That I in thy abundance am suffic'd,

And by a part of all thy glory live. (Sonnet xxxvii),

mêmes sonnets ramène encore la même expression dans un sens évidemment figuré. « Dis que tu m'as abandonné pour >> quelques fautes, écrit-il à son ami (1); et j'appuierai » moi-même le reproche. Parle de mon infirmité; et » aussitôt je boiterai, n'ayant pas de défense contre les >> raisons. >>

Shakspeare trouvait dans le jeune lord non-seulement une protection libérale, mais des conseils utiles à son talent. << Sois, lui dit-il, fier de mes écrits (2); ils sont inspirés sous >>ton influence, ils sont nés de toi. Dans les ouvrages des >> autres tu corriges le style seulement; et leur art est em>> belli par tes grâces; mais tu es mon art à moi; et tu » élèves ma rude ignorance aussi haut que le pourrait la >> science. » Cette amitié si tendre n'était pourtant pas sans orages. Quelquefois le poëte se plaignait de l'oubli de son noble patron; quelquefois il craignait de mériter sa disgrâce par des torts de conduite, dont il semble rougir. Il parle de la longue histoire de ses fautes cachées; mais ce qui semble lui peser davantage, c'est sa profession même : « Oh! pour mon honneur, dit-il, reprochez à la

(1)

Say that thou didst forsake me for some fault,

And I will comment upon that offence:

Speak of my lameness, and I straight will halt,

Against thy reasons making no defence. (Sonnet LXXXix.)

(2)

Yet be most proud of that which I compile,

Whose influence is thine, and born of thee;

In others' works thou dost but mend the style,

And arts with thy sweet graces graced be:

But thou art all my art, and dost advance

As high as learning my rude ignorance. (Sonnet LXXVIII.)

» fortune, cette déité coupable de mes méfaits (1), de n'a» voir pas pourvu à ma vie par quelque chose de meilleur » que le métier public, qui entretient la corruption publi» que. De là vient que mon nom reçoit une marque flétris» sante. De là ma nature est presque rabaissée au niveau » de la tâche où elle est mise. >>

Ce retour humiliant sur lui-même n'est pas un jeu de poëte, et paraît avoir tourmenté son âme : c'est pour remercier l'amitié ou l'amour de l'avoir défendu contre le découragement de la honte, qu'il trouve les expressions les plus tendres et les plus heureuses. « Votre amour » et votre pitié (2), dit-il quelque part, effacent la marque » qu'une calomnie vulgaire avait empreinte sur mon » front, etc., etc. Vous êtes mon univers; et je ne dois >> attendre que de votre bouche ma condamnation ou ma >> louange. >>

Le même sentiment lui inspire ce sonnet charmant :

(1)

O for my sake do you with fortune chide,

The guilty goddess of my harmful deeds,

(2)

That did not better for my life provide

Than public means, which public manners breeds.

Thence comes it that my name receives a brand;

And almost thence my nature is subdu'd

To what it works in.

(Sonnet cxi.)

Your love and pity doth the impression fill
Which vulgar scandal, stamp'd upon my brow;

You are my all-the-world, and I must strive
To know my shames and praises from your tongue.
(Sonnet cx11.)

« Lorsqu'en disgrâce avec la fortune et les hommes(1), >> tout seul je pleure sur ma condition de banni, que j'im>>portune le ciel de mes cris inutiles, que je me regarde » moi-même et maudis ma destinée, souhaitant de res» sembler à quelqu'un plus riche en espérances, d'être > beau comme lui, comme lui pourvu d'amis, enviant » l'adresse de celui-ci, le succès de celui-là, parmi » ces pensées me méprisant presque moi-même, par bon» heur je songe à toi ; et alors, comme l'alouette, qui, » au premier éclat du jour, s'élance du sol grossier de » la terre, mon sort relevé monte en chantant vers les » portes du ciel : car le souvenir de ton doux amour m'ap>> porte de tels biens, que je dédaigne alors de changer » ma fortune contre celle des rois. >>

Du reste, dans ce recueil, curieuse mais obscure confession de Shakspeare, on surprend bien peu de choses de sa vie. Il gémit parfois de son exil; mais il ne dit rien de sa famille ou de son pays. Il pleure quelque part de précieux

(1)

When in disgrace with fortune and men's eyes

I all alone beweep my outcast state,

And trouble deaf heaven with my bootless cries,
And look upon myself, and curse my fate,
Wishing me like to one more rich in hope,
Featur'd like him, like him with friends possess'd,
Desiring this man's art, and that man's scope;
Yet in these thoughts myself almost despising,
Haply I think on thee,—and then my state
(Like to the lark at break of day arising
From sullen earth) sings hymns at heaven's gate:
For thy sweet love remember'd, such wealth brings,
That then I scorn to change my state with kings.

(Sonnet xxix.)

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